1H15 avec Stanley Weber


(Crédit photo : Céline Bliss)
« Il faut apprendre à maîtriser son corps
sans texte »
À des lieues du séducteur fou qu'il incarne dans « Les Borgia » mais toujours séduisant, Stanley Weber m'accueille chez lui un bonnet sur la tête, décontracté, barbu, les yeux orageux, de la couleur de son sweat-shirt.
Plus tard il me confiera qu'il lui arrive de gravir les 26 étages de son immeuble à pied, pour s'entraîner. Dix minutes qui valent la peine : sa chambre a une vue imprenable sur la tour Eiffel et le Sacré Cœur.
Un café pour lui, une citronnade pour moi. Un peu de vent, sur le balcon. Un cendrier. Un livre de Bukowski qui traîne.

Vous jouez dans la série « Les Borgia », diffusée en octobre sur Canal Plus. Elle a été présentée ce week-end à Deauville... Vous y étiez ? Les échos sont positifs ?

Je n'y étais pas mais je sais que le film a été projeté devant 750 personnes et que ça s'est très bien passé ! C'était la première fois que Tom (ndlr Tom Fontana, le scénariste américain de la série) voyait des fans français et c'était assez drôle pour lui qui n'est pas très « bain de foule » !

Les Borgia, c'est l'histoire d'une famille... plus encore, d'un clan. Ça fait forcément penser au Parrain...

Tout le monde a envie de travailler avec cette référence, Tom le premier, c'est un fan absolu. Et d'ailleurs Mario Puzo lui-même reconnaissait s'être inspiré des Borgia pour construire le schéma familial du Parrain. Et avant, des familles historiques anglaises. Après, il faut savoir se détacher des références, pour ne pas tomber dans la caricature d'acteurs que tu admires.

Vous comprenez ce rapport à la famille ? C'est une vision que vous pouvez avoir de la vôtre ?

Pas du tout. Ça ne se passe pas comme ça dans ma famille. On est proches mais on n'est pas un clan. Avec les métiers qu'on a choisis et le père connu que l'on a, on n'a pas du tout envie avec mes frères et sœurs d'être considérés comme un clan mais comme des individualités. On veut faire notre chemin et de ne pas être dans son ombre. Même si je m'entends très bien avec lui, il est hors de question de me servir de sa notoriété pour faire quoi que ce soit dans ce milieu. Ce qui est très différent de Juan Borgia (ndlr personnage qu'il joue dans la série) qui va profiter de tous les avantages qu'un père étant pape peut avoir pour monter dans la hiérarchie et faire beaucoup de bêtises...

Vous jouez Juan Borgia... le frère de Cesare. Vous êtes un grand séducteur, tout vous est permis, mais des deux frères, le plus faible, c'est vous finalement...

Ils ont tous les deux des faiblesses mais effectivement Juan est plus faible intellectuellement. Physiquement il est plus fort mais il manque à la fois de courage et d'intelligence. Les deux vont ensemble. Moins brillant que son frère, il manque de stratégie dans le combat. Mais son père ne le voit pas comme ça donc il ne s'en rend pas compte.
Il est quand même assez malin, en tout cas suffisamment pour voir que son frère est plus intelligent que lui et pour essayer de s'en servir à certains moments.
À l'opposé, les faiblesses de Cesare sont aussi ses forces. Elles se retrouvent dans sa capacité à vouloir se remettre tout le temps en question tout en essayant de trouver la voie de Dieu. Juan se fiche de la religion, il agit de façon plus animale. Ce qu'il veut il le prend. C'est un cador, il fait beaucoup de zèle pour pas grand chose.

La revanche ou la rédemption, c'est que c'est Juan qui enfantera un saint, Saint François Borgia...

« Revanche », je ne sais pas parce que ce n'était pas du tout calculé de la part de Juan. C'est une notion qu'on n'a pas travaillée avec Tom, la descendance. Et puis il a tellement forniqué à droite et à gauche qu'on ne saura jamais combien d'enfants illégitimes il a pu avoir !

La saison diffusée retrace l'histoire de A à Z, ou il y en aura d'autres ?

On espère qu'il y aura une suite. La saison retrace l'éclosion d'une jeune fille, Lucrezia, qui connait ses premières règles dans le premier épisode, le retour de Juan au pays et l'accession de Rodriguo au trône au bout de 4 épisodes. Ce sont les premiers temps de règne.

Donc ce n'est pas grandeur et décadence... On reste uniquement dans la « grandeur »...

Si, je vous rassure, il y a un peu de décadence ! À partir du moment où Rodriguo est devenu Pape, il y a tout de suite eu des ennuis. Et puis il y a les problèmes à régler avec ses enfants. La fin de la première saison laisse la porte ouverte à une suite.

C'est votre première série ? La première fois que vous vivez ce « temps long » du personnage que l'on voit évoluer ?

Quand j'avais joué Louis XV, j'avais pu jouer un personnage de 16 ans à 64 ans, c'est déjà un gros challenge. Là ce qui est très excitant avec l'écriture de Tom, particulièrement brillante, sur douze épisodes le personnage passe par monts et par vaux. Le Juan de la fin du douzième épisode est complètement différent de celui du premier épisode, encore adolescent qui jouait à se battre avec son frère.

Et ça a été douloureux de le quitter ?

Oui, toujours un peu. Mais à la fin ça devenait dur à porter, il était alcoolique, de plus en plus violent. Les scènes étaient très physiques. Il devenait de plus en plus nerveux et l'étant moi-même c'était fatigant ! L'avantage de jouer en anglais c'est que ce sont vraiment des personnages. On ne joue pas sur une espèce de naturalité, on joue avec le plus de sincérité possible mais on n'a pas ce truc français d'être le plus « soi-même ». J'ai toujours considéré que mon personnage est beaucoup plus intéressant que moi. Moins je passe de temps avec moi même mieux je me porte.

Jouer un personnage, c'est prendre des vacances avec soi-même ?

(il rit) Oui, exactement ! Quand je ne travaille pas, je me cherche beaucoup...

C'est important de se chercher aussi...

C'est très important mais j'ai l'impression de trouver plus de réponses quand je suis avec un personnage, quelque chose qui me permet d'endosser une carapace toute la journée.

Vous dites que les Anglais sont plus dans le « personnage » alors que les Français cherchent à rester eux-mêmes... On joue si différemment en Angleterre qu'en France ?

Que ce soit clair : ce n'est pas une critique, c'est un constat que j'ai fait en sortant du Cours Florent... Quand j'arrivais devant un directeur de casting et que je lui disais « j'ai fait la classe libre de Florent, puis le Conservatoire », il répondait « aie aie, s'il-te-plaît ne sois pas trop théâtral, sois le plus naturel possible ! ». Et moi je ne comprenais pas pourquoi je m'embêtais à faire une formation aussi complète si c'était pour après me prendre ce genre de réflexions !
Je suis parti à Londres exprès pour ça, pour étudier à la LAMDA (ndlr The London Academy of Music and Dramatic Art) et j'ai eu l'opposé. Les directeurs de castings étaient à la recherche de formations solides. Là-bas, ils attendent de toi que tu arrives avec une proposition forte alors qu'en France on te demande d'être très malléable.
Mais ils sont aussi fascinés par les acteurs français, par cette distance naturelle, non jouée, à la Louis Garrel. Au Conservatoire, Philippe Garrel nous enseignait le non-jeu, on apprenait le texte sur le bout des doigts juste avant une prise.
Avant de partir à Londres, je ne savais ni jouer avec cette distance-là ni construire de personnage. Et bizarrement, en revenant, c'est devenu plus facile pour moi de switcher entre les deux méthodes. J'ai toujours considéré qu'un grand acteur, c'est celui qui peut travailler avec n'importe quel metteur en scène.

Comment expliquer que c'est en revenant de Londres, où la façon de jouer est aux antipodes de la méthode française, que c'est devenu plus facile pour vous de jouer « à la française » ?

Parce que je suis parti avec une espèce de rébellion contre le système français et je suis revenu avec une relaxation acquise par un travail monstrueux en Angleterre. La Lamda, c'est quand même une école où on te souhaite de bonnes vacances mais où on te dit de penser à courir tous les jours. Effectivement il n'y a pas un seul cours de théâtre, chant, où tu n'engages pas ton corps. Ton corps devient un outil de travail primordial. Ce qui est en arrière-plan en France, au Conservatoire. Le matin, à Londres, on allait courir dans les cimetières. C'est ça aussi qui est formidable là-bas, les cimetières sont des endroits vivants. Il y a même des gens qui y pique-niquent. Alors que je me verrais mal faire mon footing au Père Lachaise, par exemple !

Donc un bon acteur, c'est un bon sportif ?

Non ce n'est pas la question. Il faut avoir une grande maitrise de son corps parce que c'est le principal outil, la première chose qu'on voit. On lit beaucoup sur le visage mais on lit beaucoup aussi dans le langage corporel. Il y a un terme qui existe en Angleterre et pas en France : « la physicalité ». C'est une notion qu'on n'a pas ici. Ce n'est pas être beau mais c'est savoir utiliser son corps. Il faut apprendre à maîtriser son corps sans texte. Guillaume Galliene me disait « t'as le corps et le physique, t'as la chance de ne pouvoir rien faire, mais attention c'est ce qu'il y a de plus dur ». Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Rien faire, c'est le plus difficile parce que du coup le moindre mouvement prend une grande importance dans une scène. Les acteurs que j'admire le plus sont ceux qui posent leurs corps différemment en fonction des rôles, qui ne marchent pas pareil, qui n'inclinent pas leur tête de la même façon...

Chaque mouvement est étudié ?

C'est plus une énergie qui est étudiée, pas chaque mouvement, parce qu'il faut bien que les acteurs soient libres.
Aux Etats-Unis les grands acteurs de cinéma sont aussi présents au théâtre, au moins une fois par an on voit des Judi Dench, Kevin Spacey sur les planches... C'est leur façon de s'entraîner. L'acteur américain John Doman me confiait sur le tournage qu'il faisait du théâtre toutes les semaines avec sa troupe ; il me disait « c'est comme de la muscu, tu t'entraines ». Je trouve ça génial de voir le métier comme ça.

Et le fait de jouer en anglais, ça fait prendre du recul par rapport au texte ?

Ca donne une espèce de liberté très agréable. J'adore cette langue mais en plus il s'agissait de jouer le texte d'un écrivain absolument génial. C'est très fort. C'est la seule fois où en disant le texte, je retrouvais une énergie shakespearienne qui t'entraines. C'est-à-dire que d'un coup le texte fait tout pour toi, il t'embarque. Tu déconnectes, tu lâches prise et le texte a un flot, un rythme qui t'emmène. C'est une sensation formidable.

Vous n'en venez pas à vous dire que vous jouez mieux en anglais qu'en français ?

Non, je n'aurai jamais cette conscience-là. Juger ma performance, ça ne m'appartient pas. Je peux avoir un sentiment de réussite ou d'échec sur une scène. Mais sur la performance globale, le jugement appartient au réalisateur ou au public.

Mais vous prenez plus de plaisir en anglais ?

Pour l'instant, je ne peux pas répondre, je ne sais pas encore. Ca dépend des textes. Mais là c'est effectivement la fois où j'ai eu le plus de sensations. Avec la pièce de théâtre « Much Ado About Nothing ». Mais par la profondeur du texte joué.

Et vous n'avez pas peur en France de jouer comme un "British" ?

Un de mes profs disait « des méthodes il y en a des millions, ta méthode c'est ta tambouille ». Surtout il faut savoir l'oublier dès que le réalisateur dit « action ». Il faut aussi laisser l'instinct déconstruire tout. Il faut connaître toutes les règles pour pouvoir les enfreindre. D'où l'admiration que je peux avoir pour des acteurs repérés dans la rue comme Romain Duris qui se sont construits leur propre méthode pour en arriver à être un acteur aguerri. Chaque acteur a un parcours différent et il n'y en a pas un qui est mieux qu'un autre.

Pourquoi être parti de Londres ?

D'abord à cause du tournage des Borgia à Prague et aussi mes projets en France.

Vous pouvez en parler ?

Oui, il y a le tournage du film de Claude Miller « Thérèse Desqueyroux » fin septembre et une pièce de théâtre de Marivaux « L'Epreuve » sous la direction de Clément Hervieu Léger.

J'ai lu que pour préparer votre rôle dans Borgia, vous écoutiez la BO de Requiem for a dream... vous vous constituez à chaque fois un univers musical ?

Ce n'était pas pour préparer le rôle mais pour certaines scènes. Ca me mettait dans un état, une sensibilité. C'est aussi une façon de se concentrer, de s'isoler et de se baigner dans un sentiment. Je faisais une scène de guerre où je devais rentrer en transe dans une tente paniqué et j'écoutais la BO de Tron de Daft Punk.

Vous tenez aussi un cahier dans lequel vous collez des photos pendant le tournage ?

C'est ma Bible de tournage. Mark (ndlr Mark Ryder, l'acteur qui joue Cesare Borgia dans la série) s'est mis à faire comme moi. Je colle mes scènes les unes après les autres en laissant de la place. Ca me permet de ne pas me balader avec 12 scénarios dans mon sac. Des fois je trouve des photos, des éléments, des bouts de tissus, des trucs que je lis dans des livres ou que j'entends à la radio. Je consigne tout.

Un bout de tissu, ça peut vous inspirer ?

Une couleur, une sensation, un toucher qui va me rappeler un sentiment.

Ce carnet, en fait c'est un peu une éponge...

Oui. Et puis c'est un support agréable qui m'accompagne partout sur le tournage.

Comme un gris-gris aussi ?

Non, pas de superstition pour moi ! Le but c'est de tout oublier quand on dit « action ». Ca me permet de ne pas perdre la première vision que j'ai pu avoir quand j'ai lu le rôle au tout début. D'un coup dans une prise, cet instinct-là ressort tout seul sans qu'on aille le chercher. C'est la « maturation » du jeu.

Et vous documenter ça fait aussi partie de votre préparation ? Par exemple, pour Les Borgia, vous avez lu Machiavel ?

Non. J'avais commencé mais j'ai très vite arrêté. Ca aurait fait bien pour les interviews. Mais dès que j'ai rencontré Tom, je me suis rendu compte qu'il était un Wikipédia vivant, beaucoup plus interactif et beaucoup plus vivant qu'un écran d'ordinateur. Et il avait déjà tous les éléments en main. Ca faisait dix ans qu'il préparait la série ! Donc autant s'asseoir sur une chaise à côté de lui ! Le piège de lire trop, c'est que ça peut aussi vite t'enfermer dans un carcan. Et tu n'arrives plus à te créer de personnage. Sinon tu fais un copier-coller, ce qui n'est pas intéressant.

Quand vous étiez en Angleterre, qu'est-ce qui vous manquait ici ?

Mes amis. Dans les cours au Conservatoire,en revanche, rien... La viande, la bonne viande ! Et peut-être un petit peu, mais pas trop, ma petite amie de l'époque...

Vous êtes plus cheesecake au citron ou tarte au citron meringuée ?

Cheesecake ! Le matin ma petite habitude je me prenais un café latte et un muffin triple chocolate.

Et maintenant ici, le petit plaisir du matin, c'est quoi ?

Flocons d'avoine avec des raisins secs !

Ça donne moins envie !

Je vais devoir être torse nu dans dix jours, donc je cours et je vais à la piscine tous les jours. J'aime beaucoup courir sur les quais vers la Villette, il y a des coins très industriels, abandonnés qui sont très poétiques.

Très poétiques quand on est un garçon alors !

J'ai vu courir des filles pourtant ! C'est sûr qu'il ne faut pas y aller en hiver à 20 heures !

Quelle est la question que j'ai oublié de vous poser ?

Pourquoi m'interviewer, moi ?

Une série, un film et une pièce de théâtre, ça fait déjà trois bonnes raisons !

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