David Foenkinos


"L'imagination est un terrain de fatigue"

Encensé tant par la critique que le public, son huitième roman la Délicatesse était retenu dans la première sélection au prix Goncourt 2009, et à d'autres titres prestigieux tels que le Renaudot, le Medicis ou encore le Femina. Le mois dernier, il a reçu le prix Gaël. A seulement 35 ans, David Foenkinos est un des auteurs français actuels les plus traduits dans le monde. Et des plus prolifiques : il écrit en moyenne un livre par an.

Rencontre avec celui qui se décrit lui-même comme un "dépressif joyeux". Le décor : deux cafés et deux sucrettes dont il mangera le sucre tout au long d'une heure et quart d'interview
.
Avant son après-midi de dédicaces au salon du Livre...


AC : Il y a dans vos livres un éloge de la sensualité que vous placez au-dessus de la sexualité, et de la beauté même... Il n'y a par exemple aucune description physique de Nathalie dans "la Délicatesse" et on apprend tard dans le roman qu'elle est belle... Vous sacralisez le sensuel?

David Foenkinos : Dans "Le potentiel érotique de ma femme", j'avais mis en exergue la phrase d'Aragon : "En vain la raison me dénonce la dictature de la sensualité". Je suis assez prude en fait, assez pudique dans ma façon d'écrire. Dans mes grandes références, il y a François Truffaut, c'est une féminité un peu rêvée, fantasmée, j'adore voir les jambes, les démarches... il filme les hommes qui passent leur main dans les cheveux des femmes, les nuques. Il y a très peu de scène de sexualité finalement... Je pense qu'il y a un érotisme assez fort qui se dégage de la sensualité.
J'aimerais bien parler plus de sexualité mais j'ai beaucoup de mal à exprimer la crudité. Mais je l'ai fait, j'ai toute une discussion dans "Qui se souvient de David Foenkinos?", la fille se demande pourquoi dans tous les films pornos les hommes jouissent dans la bouche des femmes... C'est un des rares passages du livre où il est question de sexualité. Il n'y a rien de plus concret que la sexualité ; il n'y a rien qui enracine plus un texte dans la réalité que la sexualité. Et mon but c'est que livre après livre mes romans soient de plus en plus ancrés dans le réel. J'y suis presque ; la Délicatesse est un livre réaliste qui devrait bientôt se faire au cinéma. Ça correspond à une évolution personnelle. Au début, j'avais du mal à parler de moi dans mes livres, et l'humour et la fantaisie étaient une façon exacerbée de ne pas parler de moi. Petit à petit, j'arrive à des choses plus profondes donc peut-être plus personnelles. Le prochain livre sera plus personnel. Enfin pas le suivant... quoique! C'est un livre sur John Lennon...

Il est terminé?

La préparation est presque finie... - on dirait que je parle d'une quiche!

On constate dans vos livres une réelle obsession pour les prénoms... pour vous ils ont une réelle signification? En prenant un prénom, on attrape un destin?

Presque! Quand j'ai écrit Bernard, j'ai fait le test lors d'une conférence en disant "Le livre s'appelle Bernard, je n'ai pas besoin de vous raconter l'histoire, vous allez trouver tout seuls"... Et les gens ont trouvé! Quand on s'appelle Bernard, c'est évident que ça va mal se passer! Je pense que le prénom, c'est comme la tonalité d'une personnalité et que c'est le plus dur à trouver. La Délicatesse, c'est un livre très "Nathalie" : les années 70, la mélancolie, la douceur... Bizarrement, cette Nathalie c'est un peu mon enfance, c'est en lien avec cette tonalité orange des années 70. Je ne décris pas les personnages parce que je pense qu'on a déjà beaucoup de la personnalité à travers le prénom... Alors vous par contre, vous n'avez pas du tout une tête d'Aurélie, je trouve!

J'ai une tête de quoi?

De Cassandre! J'aime bien désigner les personnages avec un mot, j'adore réduire. Je ne dis pas grand chose de Nathalie, je dis juste qu'elle a une "féminité suisse". Chacun met ce qu'il veut dans la Suisse, certains y voient un havre de paix, d'autres y voient une pute, comme Yann Moix!


C'est quoi un David?

C'est amusant, vous êtes la première à me poser la question, parce qu'en général, lors des dédicaces, systématiquement les gens me demandent à quoi me renvoient leurs prénoms! Un David c'est à la fois très sombre et très lumineux.

Un clair-obscur!

Ou un dépressif joyeux!


Quand on donne un prénom à son enfant, on a une grave responsabilité alors...

Oui, le prénom d'un enfant c'est comme pour le titre d'un roman. Pour Qui se souvient de David Foenkinos?, j'ai hésité jusqu'au bout et finalement je pense que ce n'est pas un très bon choix. J'ai failli l'appeler "Alice" : vous imaginez la différence de tonalité entre les deux titres, on n'est pas du tout dans la même histoire. J'aurais dû l'appeler "Alice", je crois. On m'a dit que ça faisait trop Woody Allen. Je voulais l'appeler "l'Idée Alice", parce que dans le livre c'est Alice qui a une idée. Je regrette ce titre jusqu'au moment où quelqu'un me dit qu'il est génial. Je suis complètement girouette, c'est le dernier avis qui compte. On n'a aucun avis sur ce qu'on fait, finalement.


Dans Nos Séparations, vous décrivez le passage de l'anonymat à la vérité du prénom, cet acte irréversible... C'est un acte symbolique pour vous?

J'aime bien trouver des manières de décrire les choses, je ne cherche pas l'originalité à tout prix mais des rencontres amoureuses, on en a vues des millions ; j'essaie de trouver un angle. Je trouve ce moment très excitant, c'est une sensation irréversible, on ne peut plus faire marche arrière ensuite dans la non-connaissance du prénom. Après, la relation anonyme est foutue à jamais. Pour moi, ce n'est pas anodin quand je demande à quelqu'un "Vous vous appelez comment?". Parfois je suis très déçu... Il y a des prénoms très décevants.


On retrouve plusieurs récurrences dans vos livres : les deux Polonais, le personnage "Berthier"... c'est l'idée de créer une Œuvre et de rendre ses livres cohérents entre eux?

Les gens voient souvent les deux Polonais, les cheveux lisses... Mais pour Berthier, vous êtes la seule à l'avoir repéré! En s'appelant Berthier, on ne peut qu'être collègue, ce n'est pas possible autrement. Dans mon Panthéon personnel, il y a le cinéma des années 70 et dans des films comme le Grand blond avec la chaussure noire, ils s'appellent tous par leurs noms de famille...
J'aime répéter les mêmes phrases dans mes livres, je trouve ça rassurant, il y a aussi toujours "la rhapsodie des rotules". C'est important pour un artiste d'avoir un univers plus ou moins identifiable. Mais mon humour, mon écriture ont beaucoup évolué entre "l'Inversion de l'Idiotie" et maintenant.


Il y a une musique dans votre écriture, vous pratiquez la digression, il y a des aphorismes, des notes en bas de page, des paroles de chanson, vous citez vos auteurs préférés... On a l'impression que c'est la niche dans laquelle vous mettez votre intimité et que c'est dans ces moments-là qu'on est le plus proche de vous...

Oui, c'est là que le narrateur est présent, j'y glisse mes goûts personnels, ma tonalité. On me demande souvent quelle est la part d'autobiographie dans mes livres, je pense que rien n'est autobiographique dans l'histoire, dans les personnages mais pourtant ils sont complètement autobiographiques dans le sens où c'est là qu'on peut avoir une photographie de ma sensibilité, de ce que j'aime, de ce que je ressens. Ce n'est pas uniquement dans les interchapitres... Nathalie, je ne la connais pas, je ne la vois même pas, elle ne correspond à aucune femme dans ma vie mais ce que je dis d'elle, ce que j'aime chez elle, ce sont des choses qui en tant qu'homme me touchent. C'est plus au niveau du ressenti. des choses J'écris des romans où il y a une forte présence du narrateur, j'adore les notes en bas de page, j'aime le jeu avec le lecteur, la connivence ; j'ai un rapport ludique à l'écriture. Dans la vie c'est comme cela aussi, on passe d'une interview ici à des courses au Monoprix puis au Salon du livre. On passe d'une recette de risotto à Woody Allen, à la mort d'un proche, au désir subit et à l'envie d'embrasser quelqu'un.


Justement, quel est votre risotto préféré? Parce que dans La Délicatesse, vous donnez la recette du risotto aux asperges alors que dans Nos Séparations, on sent un certain attrait pour le risotto aux champignons...

Complètement champignons-fromage! Je ne sais pas pourquoi j'ai mis le risotto aux asperges dans la Délicatesse, ça sonnait bien, je crois. Les gens sont très gentils avec moi, j'ai une collection géante de PEZ chez moi (ndlr dans la Délicatesse Markus offre des PEZ à Nathalie) parce que finalement on en trouve partout, et samedi dernier dans une librairie on m'a fait un risotto aux asperges. C'était bon mais je préfère le risotto aux champignons! Ça aurait été une bonne première question, ça : David Foenkinos, vous êtes plutôt risotto aux asperges ou aux champignons?


On sent un réel amour du détail, il y a tout un passage dans la Délicatesse sur la boisson que va choisir Nathalie lorsqu'elle rencontre pour la première fois son futur mari, il y a le geste précis d'Alice dans Nos Séparations par lequel elle séduit Fritz, vous souffrez d'une poésie maladive?

Une des pages les plus autobiographiques que j'aie pu écrire, c'est la première de Nos Séparations. C'est une façon de voir chaque détail qui peut me réjouir. J'adore les détails, j'ai fait un livre qui s'appelle Les détails féminins et qui s'est perdu dans mon ordinateur, heureusement, ça aurait accentué mon côté "auteur féminin" dans lequel je ne veux pas m'enfermer. Oui, c'est une "poésie maladive" ; en tout cas sur l'excitation du détail oui, j'ai un rapport au détail un peu névrotique mais très positif, quelque part c'est une façon de ne regarder que ce que l'on aime. Par exemple j'ai adoré les cheveux de Zooey Deschanel dans 500 jours ensemble. Je suis très serre-tête, je m'en rends compte maintenant. Je suis très cheveux, je suis obsédé par les cheveux, je suis maniaco-capillaire. Ca me vient de ma propre hantise de mes cheveux. L'obsession des cheveux lisses vient de là, pas besoin de faire beaucoup de psychanalyse.

J'ai essayé d'esquisser votre femme idéale : elle a les cheveux lisses, elle parle Allemand et elle n'a pas de chien?

Non, le chien ce n'est pas rédhibitoire ; pour vivre avec elle peut-être parce que je n'aime pas les poils. Mais sinon ça ne me dérange pas. Je dis souvent que j'aime les filles aux cheveux lisses qui votent à droite, qui sont catholiques, qui louchent un peu et qui parlent Allemand. Je trouve la langue allemande très érotique. En même temps je ne me permettrais jamais de m'enfermer dans un idéal féminin, je trouve ça tellement déprimant et réducteur d'avoir un idéal, je veux me laisser toutes les possibilités d'émerveillement. J'ai des préférences mais j'adorerais être troublé par quelque chose qui n'est pas du tout dans mon idée préconçue. J'aimerais bien rencontrer Yoko Ono par exemple une femme tyrannique et insupportable. Alors que j'aime la douceur.


C'est vrai que l'Allemand est une jolie langue!

Merci! Quand je le dis en Allemagne, ils sont très surpris et ils ne savent pas comment le prendre. C'est une langue intelligente et sensuelle. Je déteste le charme, l'arnaque de l'italien ou de l'espagnol. Tu passes une bonne soirée avec la langue italienne mais au réveil c'est déprimant. L'Italie, c'est une aventure alors que l'Allemagne, c'est une autoroute. L'Allemagne, c'est Yoko Ono. Ca va être compliqué si vous écrivez ça! Je suis tellement dans l'écriture du livre sur John Lennon que je parle constamment des Beatles.


Comment vous est venue l'idée de ce livre sur John Lennon?

Il y a souvent les Beatles dans mes livres : dans la Délicatesse, je mets la discographie de John Lennon s'il n'était pas mort. Les Beatles sont toujours dans ma vie ; là j'avais envie d'écrire quelque chose de différent entre mes deux livres et on m'a fait la proposition d'écrire une biographie particulière. Donc j'ai décidé d'écrire sur John Lennon. Depuis des mois ,je lis tout sur John Lennon, c'est à devenir fou parce que les témoignages se contredisent : la vérité d'un homme, elle se situe où? Est-ce que c'est un taré névrotique ou un exacerbé sensitif, un génie?


Et vous apportez une réponse?

Oui. Il faut que j'arrête, je ne fais qu'en parler depuis plusieurs semaines ; parce que ça me permet de digérer ce que je lis et écris. J'arrête d'en parler.


Toujours dans vos projets, vous allez adapter la Délicatesse au cinéma?

Plusieurs de mes livres sont en cours d'adaptation (Nos séparations, Bernard, En cas de bonheur). Avant, quand j'arrivais à la fin d'un livre, j'avais presque du dégoût, l'envie de passer à autre chose. Pour La Délicatesse, c'est la première fois que je n'ai pas envie de le laisser ; je vais le réaliser avec mon frère. On est très complémentaires, c'est un des plus grands directeurs de casting actuellement, tous les acteurs l'aiment bien ; et moi j'adore la technique, je vais beaucoup sur les tournages, j'apprends beaucoup et je me sens prêt. On avait déjà fait un court métrage ensemble : Une histoire de pieds - une histoire d'amour vue par les pieds ; on l'avait filmée sur les chutes de bobines de Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu.


Vous évoquez la notion de "bon moment" dans la Délicatesse : Markus arrive dans la vie de Nathalie au bon moment. C'est l'idée de destin en plus tragique?

Oui, je parle dans mes livres de ces personnes formidables qu'on rencontre au mauvais moment et de de celles qui sont formidables parce qu'on les rencontre au bon moment. Je crois que toute notre vie est liée au bon timing. Il y a parallèlement à notre volonté, la temporalité qui décide beaucoup plus que nous les choses. Je suis complètement fataliste, je crois beaucoup au déterminisme, que toutes les choses sont déjà écrites. Enfin, pas les livres! C'est plus personnel mais je pense que les choses sont déjà préparées. C'est notre horloge biologique qui décide. Markus arrive au bon moment dans la vie de Nathalie et c'est une qualité qu'il ne maitrise absolument pas.


Donc on arrive tous à un bon moment dans la vie de quelqu'un? Ou il peut ne jamais y avoir ce "bon moment", et ce serait terrible?

Vous voyez les choses à l'envers... Markus est tellement dépressif qu'il attend juste d'être le bon moment de quelqu'un ; lui il est prêt, son bon moment il existe depuis qu'il est né! C'est personnel mais chacune de mes histoires qui ont duré, ont duré parce qu'elles ont débuté à un moment où c'était possible. Finalement, il y a peu de moments précis dans une vie où on est dans la possibilité de démarrer une histoire : des moments de fin d'histoire, de rupture, d'envie. C'est très déprimant ce que je dis, ça rend mineures les histoires que l'on vit parce que finalement elles sont dépendantes de quelque chose qu'on ne maitrise pas.


Mais ça peut aussi être l'amoureux qui recrée un sens artificiel à la rencontre : dans la Délicatesse, vous évoquez la légende que les couples se construisent sur leur première rencontre... Peut-être définit-on le "bon moment" a posteriori sans vraiment savoir si ça l'était à ce moment-là.

Effectivement, dans la Délicatesse, c'est le narrateur qui dit que c'est le bon moment, Nathalie ne le sait pas, Markus non plus ne sait pas qu'il a cette belle capacité d'apparaitre dans le champ de vision d'une femme au bon moment. Il comprendra après que c'est le bon moment. J'ai essayé d'analyser dans le livre : n'est-ce vraiment que le bon moment? Non, elle se rend compte après que si elle a été attirée par lui c'est parce qu'il est rassurant et qu'il a la même tête tous les jours - et c'est important pour quelqu'un qui a vécu la brutalité d'un drame. Il y a des attirances qui sont comme des pansements de la même manière que parfois on est attiré par des personnes qui nous font du mal. Nathalie va se rendre compte que son corps ne choisit pas cet homme seulement parce que c'était le bon moment mais parce que c'était l'homme le plus "pansement" pour elle, l'homme pour la rassurer, la faire rire, la ramener sur le terrain de la séduction sans brutalité, alors que lui-même n'a pas les codes de la séduction. Elle réintègre le terrain de l'amour avec un homme vierge. C'est la première fois que je qualifie Markus de "vierge". Ca me fait penser à John Lennon et Yoko Ono, au début de leur rencontre, ils ont tout saccagé et deux semaines plus tard ils ont fait la couverture de l'album "Two virgins" en posant nus. C'était extrême. La rencontre amoureuse est liée à une forme de renaissance. Markus et Nathalie auraient pu poser nus... enfin je ne sais pas si ça aurait fait vendre avec Markus sur la pochette... avec Nathalie oui...

C'est le corps qui décide?


En matière amoureuse, c'est le corps qui décide de tout. On ne sait jamais combien de temps un chagrin d'amour va durer, on se lève un matin et on constate qu'il n'est plus là. On est en connexion permanente avec nos cicatrices et nos souffrances ; ce qui n'empêche pas d'être heureux. La mémoire du corps est supérieure à notre propre mémoire.
Mais aussi, on peut ne jamais se remettre d'un bonheur. Notre sensibilité est liée à la somme des beautés qu'on a pu accumuler. Et en même temps on est tellement secs, je trouve... On est très loin des grandes tragédies russes du 18ème siècle ; aujourd'hui les souffrances sont des bémols et les joies aussi. Je ne ris pas assez par exemple. J'ai peur de progresser vers une certaine sècheresse, tout en étant émerveillé par plein de choses... c'est la vieillesse, je suis très très vieux, j'ai été vieux jeune donc maintenant à 35 ans, je suis un vieillard. J'étais tôt très suisse et très charentaises.


On parlait de destin, il y a un destin dans l'écriture?

La Délicatesse, je m'empêchais de l'écrire ; je venais d'écrire Nos Séparations, je n'allais pas écrire un autre roman. Il s'écrivait en moi, c'était comme une cocotte-minute. Et puis un jour, un 5 novembre, j'ai senti que c'était le bon moment, j'ai annulé un rendez-vous auquel j'allais , j'ai fait marche arrière et le roman est sorti comme ça. Je crois beaucoup au royaume de l'inconscient, en la dynamique des rêves. La Délicatesse je l'ai écrit malgré moi, dans des songes, elle était déjà là quand je l'ai écrite. Être écrivain c'est avoir un certain ego et en même temps je me sens comme un voyageur de mon esprit, je me sens comme un Roumain à Paris. Je n'y suis absolument pour rien. Je n'avais pas lu avant mes seize ans et du coup ça me rend imposteur. C'est comme une loterie à laquelle je serais bien tombé. De la même façon que je ne sais pas pourquoi mon humour est comme cela. Ça me fascine, c'est quelque chose qui ne s'apprend pas. Je pense que l'humour est proche de la folie. On n'a aucune connivence avec la folie de quelqu'un et pourtant cette folie-là est charmante. Et puis, c'est plus facile d'être drôle à Strasbourg qu'en bas de chez soi. Et encore plus en Ukraine ou au Nord de la Russie. Là je suis sinistre parce qu'on est en bas de chez moi. L'humour c'est uniquement une question de géographie. Je viens de le comprendre à l'instant, c'est bien les entretiens, vous me direz combien je vous dois après.


L'art est relié à la folie?

Je pense que ceux qui créent sont liés à la folie. Le déracinement du quotidien pèse beaucoup sur notre instabilité... le fait d'être libre de son emploi du temps, d'être libre de tout... Je me suis toujours posé la question, quand je vois les artistes des années 70, Hendrix, Joplin... ils ont tout, ils vivent de leur art, ils sont respectés, adulés, et ils tombent tous dans la souffrance, dans la drogue alors qu'ils n'ont pas eu d'enfance difficile. Ces vies rêvées sont tellement instables qu'elles propulsent dans une déchéance très difficile à comprendre de l'extérieur.


Et comment fait-on pour rester ancré dans la réalité?

En faisant des enfants ! L'imagination est un terrain de fatigue pour moi parce que je suis vieux, aussi à cause de ma constitution physique, et puis je dors très mal, ce qui est positif finalement puisque ça m'aide à réfléchir la nuit! Aller chercher mon fils à l'école, c'est mon antidote à la dérive.

Bibliographie :

Inversion de l'idiotie (Gallimard, 2002)
Entre les oreilles (Gallimard, 2002)
Le potentiel érotique de ma femme(Gallimard 2004, Folio)
En cas de bonheur (Flammarion, 2005, J'ai Lu)
Les cœurs autonomes (Grasset, 2006)
Qui se souvient de David Foenkinos? (Gallimard 2007)
Nos séparations (Gallimard, 2008, Folio)
La délicatesse (Gallimard, 2009)
Bernard (Éditions du Moteur, 2010)

Théâtre :
Célibataires (texte publié chez Flammarion) : pièce jouée au Studio des champs Elysées, avec Catherine Jacob et Christian Charmetant (sept-déc. 2008)




Pom Klementieff


Trois bonbons dans la main, un violet, un bleu, un argenté. Un dans la bouche, à la pomme. C'est ce qu'il reste de ces trois heures passées avec elle, la fille qui part au loin sur son scooter « bleu lumineux », morceau de ciel. Pom Klementieff.


Yeux de chat sur poupée russe, la jeune femme est par ordre de proportion Coréenne, Russe et Française. Dernièrement dans la série « Pigalle La Nuit » sur Canal Plus (elle incarne Sandra une stripteaseuse), révélation du film « Loup » de Nicolas Vanier, l'actrice est actuellement en répétitions de la pièce de théâtre de Federico García Lorca « La maison de Bernarda Alba. » Est-ce que son jeu au cinéma l'aide à nourrir son jeu sur les planches? Les deux jeux peuvent se compléter, l'un peut aider à gagner en assurance dans l'autre mais de très bons acteurs de cinéma le sont parfois nettement moins au théâtre et vice versa. Et de donner alors pour exemple de réussite dans les deux domaines Mélanie Thierry (ndlr César 2010 du meilleur espoir féminin) qu'elle a récemment trouvée fantastique dans la pièce « Babydoll » ; elle se rappelle son rire magnifique qui se déployait sur scène « J'avais envie de photographier son rire » murmure-t-elle du fond de sa poésie fantasque.
Pour son rôle au cinéma de Nastazia dans Loup, elle n'a pas eu besoin de s'immerger. « Je n'étais pas dans l'esprit « je suis Sibérienne et je ne mange que du renne », c'est avant tout moi, mes souvenirs et mon vécu que je transpose dans le rôle que j'interprète». Donc les meilleurs acteurs sont ceux qui ont le plus vécu? Elle acquiesce puis tempère qu'il est toujours possible pour l'acteur de réussir avec brio à recréer artificiellement une émotion qu'il n'a jamais vécue. La concernant ce sont certaines périodes graves de sa vie, ces instants où elle se sentait brisée, ensuite renforcée qui lui ont donné envie de monter sur scène, raconter ce qu'elle a vécu à travers des personnages - « parce que sinon ce serait indécent ». Sans être dans la souffrance, raconter ces choses de façon à les rendre plus lumineuses, une sorte de résiliation. En apportant à ses rôles sa respiration, ses nuances, Pom Klementieff les imprègne aussi de son instinct. Elle n'est pas une actrice aux émotions rigidement contrôlées, elle aime quand les choses lui échappent, « ces moments de vérité, ces moments qui twistent ». Les défis l'enchantent, c'est sa façon de se faire confiance et de faire confiance aux autres : ainsi avait-elle dit à Nicolas Vanier, le réalisateur de Loup, « j'adorerais nager avec le cheval » sur le ton du « même pas cap » des cours de récré … et ensuite s'était-elle retrouvée à le faire vraiment.

Silence. Il faudrait imprimer un silence entre chaque anecdote de la jeune femme tant sa spontanéité est réjouissante. Cette fraîcheur, elle en est consciente et elle s'échine à la préserver, garder ce souffle de vie même quand elle aura des rides plein les yeux. Protéger ce quelque chose précieux de l'enfance.

Ce qu'elle aime par ailleurs dans son métier c'est précisément cette faculté de faire des choses que l'on ne s'autoriserait pas dans la vraie vie. Comme son personnage de stripteaseuse dans la série Pigalle : la chorégraphie sur la barre avec des talons de dix-sept centimètres, le fantasme réalisé qu'elle évoque avec son petit rire enchanteur. C'est ce même plaisir qu'elle retrouve dans les scènes de violence, pour l'exutoire qu'elles permettent.

Actrice elle y a pensé très tôt, avec l'impression dès l'enfance de déjà être dans un film. Le personnage de sa propre vie, avec des scènes au ralenti. La double perte du père : la mort le soir de ses dix-huit ans de son oncle, son second père, la soudaine prise de conscience de vivre maintenant et de concrétiser ses rêves, son rêve de devenir actrice. Parce que « tout est possible quand on n'a plus de père". Ce sont ses manques qui l'ont fait avancer. Et puis l'inscription au cours Florent. La recherche de cette sensation de la salle noire avec la lumière braquée sur soi, cette lumière qui réchauffe, les yeux des autres sur soi, des yeux forcément bienveillants, ce pouvoir de dire et d'être écoutée, charmer, faire rire, pleurer et surtout émouvoir. Devant ces personnes inconnues mais aussi celles qu'elle connait, qu'elle aime, elle pense alors à sa grand-mère, son père, ceux qui ne sont pas là mais qui devraient être dans la salle. Et dans ces moments-là, « c'est comme si l'acteur traversait la vie et la mort en même temps, comme s'il était dans une autre dimension »

Pour trouver l'expression sur-mesure d'une émotion, l'actrice scrute les visages, essaie de reproduire les mouvements des sentiments, guette ces petits gestes imperceptibles qui permettent de toucher au plus près la justesse et qui ne sont jamais accessoires, évite le piège des attitudes parasites... « A chaque fois que je vis quelque chose, je me dis que ça pourra me servir plus tard pour un rôle ; c'est un peu vicieux en fait! ». Mais c'est aussi une façon pour la bouillonnante Pom Klementieff d'extraire de l'utile du moindre des événements qui la touchent même tristes ; son positivisme. Comme bon nombre d'acteurs, elle est excessive, sujette aux coups de tête de dernière minute, tout en s'efforçant de rester raisonnable - le glaçon dans le thé. Un exemple évocateur : sur le passage piéton, Pom court quand le petit bonhomme est rouge et les voitures prêtes à démarrer, et vous nargue arrivée de l'autre côté de la route...

Filmographie :

Après lui de Gael Morel
Sans armes ni haine ni violence de Jean Paul Rouve
Pigalle La Nuit de Hevré Hadmar et Marc Herpoux
Loup de Nicolas Vanier

Crédit photo : Nathalie Malric