Raphaël Lugassy












"La destination finale d'une photo est sur un mur"


La pluie qui s'écrase transformée en poussière d'étoiles, une tête de cheval encastrée dans le mur d'une chambre d'hôtel berlinoise, la tôle froissée d'une voiture sous titrée d'un "Happy New year 2010 (drive safe)", un lustre en contre-plongée, des visages ombrés. En noir et blanc. Ce sont quelques des sublimes photos que vous pouvez voir sur le site de Raphaël Lugassy (http://www.raphael-lugassy.com). Avant de vous y rendre (ou après), rencontre avec le photographe, par un après-midi ensoleillé dans le quartier de la Bastille, une bière à la main.

- Sur votre site il y a un volet "diary"... On a ici l'impression d'accéder à une part plus personnelle de votre travail. C'est votre regard intime sur les choses?

Ces photos me ressemblent plus que celles que je peux faire sur commande. Elles dépeignent plus mon univers. Je les faisais pour moi depuis longtemps, je ne savais pas comment les montrer et l'idée de faire un journal me semblait un bon système...

- De journal intime au début, c'est devenu aujourd'hui un projet artistique?

Je découvre maintenant que les photos sont liées entre elles alors que c'est assez inconscient. On ne passe pas du coq à l'âne... Mais ce n'est pas encore une œuvre. Ca en sera une quand ça sera accroché sur un mur. Ce n'est pas non plus un brouillon, c'est plus qu'un brouillon... c'est une étape intermédiaire.

- Toujours dans ce diary, il y a des photos de capture télévisuelle. C'est l'idée de superposer l'art de la photo à celui du film? Un "super-art"?

En musique on peut faire du sample... Ici il s'agit de faire du "sample visuel". Ca existe déjà, le photographe Harry Gruyaert en a fait, il a fait un livre "TV shots", il utilise des couleurs très saturées là où j'utilise le noir et blanc. J'ai capturé des images bien particulières : j'avais fait une série sur les explosions atomiques, les films X... Je capture ces images et j'essaie ensuite de leur trouver un esthétisme.

- Vous utilisez beaucoup le noir et blanc, votre travail est épuré, les modèles regardent souvent simplement l'objectif... Vous êtes moins dans ce que Paolo Roversi appelle "la démonstration narcissique de la technique" que dans le ressenti... Vous recherchez la simplicité?

J'essaie d'oublier la technique. Évidemment elle est importante mais la technique est faite pour être oubliée... Comme lorsque l'on marche et que l'on ne se pose pas la question de poser un pied devant l'autre.

- Vos photos sont sensuelles, vous photographiez les nuques, beaucoup la peau... Il y a très peu de nus et ce sont des femmes recroquevillées sur leur nudité. Une bonne photo doit être sensuelle?

De manière générale, j'aime bien quand les choses sont suggérées, ça les rend plus fortes. Mais je ne me dis pas "il faut être sensuel". Un portrait est le résultat d'une rencontre. Il se passe toujours quelque chose quoi qu'il arrive. Quels que soient les mots échangés, la rencontre s'effectue par l'objectif... Tout passe par l'image.

- Vous êtes un peintre par préméditation ou vous laissez entièrement le moment vous surprendre?

Les deux! Même quand la photo est plus ou moins préparée, il y a toujours une surprise, un facteur X, un choix à faire qui sera déterminant. Le choc entre les pensées et la réalité. J'aime capter l'attitude qui va être l'instant, c'est de la performance. C'est provoquer l'accident.
J'attache aussi beaucoup d'importance à la composition de l'image, à ses proportions géométriques. Le portrait idéal, c'est allier cette géométrie à l'accident du sujet.

- Vous avez des regrets de photographies?

Tous les jours! J'ai mon appareil photo les trois quarts du temps sur moi - enfin pas maintenant. Mais même quand je l'ai sur moi, je n'ai pas toujours le temps de le sortir au bon moment. "Un photographe n'a jamais de temps de repos" - c'est de Depardon. Même dans ton lit, avec ta copine au réveil un dimanche matin, il peut toujours se passer quelque chose!

- Les peintres signent leurs tableaux... comment fait le photographe pour apposer sa signature à ses photographies?

Je ne me dis jamais quand je fais une photo qu'il faut qu'elle ressemble à ce que je fais.

- J'ai lu que vous étiez contre le numérique...

Non! C'est pour mon projet "Monde parallèle" (ndlr qui a été exposé à la Galerie Joseph en novembre 2008)... Je voulais tout faire en argentique, sans processus numérique pour donner de la chaleur à l'image. Mais j'adore le numérique, les nouvelles technologies, je suis très à la page, j'ai toujours le dernier logiciel - je suis un peu un geek!

- Ce projet "Monde parallèle", le tour du monde des tours, vous allez le continuer?

J'ai fait une pause suite à l'exposition mais je vais m'y remettre, c'est le travail d'une vie! Mais je ne pars jamais à la chasse aux tours. L'idée m'est venue à Chicago, j'ai été "happé" par un building... Ensuite je voulais une perte des repères, me perdre moi-même. Ces tours sont une variation d'illusions d'optique.

- Vous pouvez décrire votre studio?

C'est chez moi! Un fond blanc accroché à un mur et des lampes... Ce n'est pas le lieu qui est important mais ce qui s'y passe. Ce pourrait être n'importe où, ça n'a pas d'importance particulière. Je pourrais très bien installer mon studio dans la rue, ce serait une bonne idée, en fait!

- C'est le moment de la question obligée : comment vous est venue votre vocation de photographe?

En me baladant sur le net. Il y a huit ans je faisais des études de multimédia, pour être graphiste. Puis je suis tombé sur le site de l'agence Magnum, et là j'ai ressenti le plaisir de l'image. Ensuite, je ne voulais pas faire d'école. La meilleure façon d'apprendre, c'est d'être assistant. J'ai appris une certaine rigueur en assistant plusieurs photographes dont Jean-Pierre Godeaut.

- Et quand vous êtes vous dit "Je suis photographe"?

Il faut se le dire très vite. J'ai toujours fait de la photo en fait, en amateur... Ma mère est artiste, elle a formé mon regard.

- Des projets?

Je suis attiré de plus en plus par la Science, par ce qui n'est pas encore de l'art. Parce que sont les scientifiques qui sont à la marge, qui découvrent de nouveaux univers. La Science ce sont de nouveaux horizons à chaque fois. J'aimerais utiliser les images que crée la Science et en faire un travail plus personnel.

- C'est l'idée d'être en avance sur les autres, sur l'art lui-même?

Il peut y avoir de ça... C'est plus un fantasme. Ou peut-être un peu du narcissisme évoqué par Paolo Roversi que vous citiez tout à l'heure.

- Vous ne faites pas de photos de mode...

J'en ai fait mais pour l'instant il n'y en a pas dont je sois suffisamment fier. Il y a des photos de mode sublimes, mais ce que l'on peut voir dans la majorité des magazines aujourd'hui ne me touche pas; je ne les mettrais pas sur un mur. Cartier-Bresson disait que la destination finale d'une photo doit être un livre, pour moi ce doit être sur un mur!

- J'ai vu deux autoportraits de vous, sur l'un vous portez un masque, sur l'autre votre visage est coupé en deux... C'est la punition du photographe de ne pas avoir droit à sa propre image? Ou est-ce parce qu'il est très difficile de capturer sa propre vérité?

Pour le visage coupé, c'est parce que je suis gémeaux, j'ai utilisé le jeu de l'illusion d'optique pour mettre en avant la double personnalité. Tout le monde est multifacettes. Vous n'êtes pas avec moi maintenant comme vous l'êtes avec votre mère ou avec vos amis.
L'autre photo, c'est un heaume, un casque de chevalier. J'aime beaucoup les masques, il y a dans ces heaumes quelque chose de très pratique, de très peu ornemental. Visuellement c'est joli mais c'est compliqué à trouver - donc j'ai abandonné l'idée d'en faire une série de photos. Les casques sont des objets fascinants.

- La photo que vous rêvez de faire...

C'est surtout un endroit : l'Espace. J'adorerais partir avec Virgin Galactic.
Et aussi tous les appareillages militaires, les drones... Ils me fascinent.
Plus modestement, Brasilia pour son architecture.



Pour voir le travail de Raphaël Lugassy:

http://www.raphael-lugassy.com

Son diary :

http://www.lugassy.info