"Il n'y avait pas de fuite possible, par aucun moyen"
Fraichement nommé aux Césars (*) et de retour du Tadjikistan, où il vient de tourner le film « Forces Spéciales » (avec notamment Benoit Magimel, Diane Kruger et Denis Ménochet), Raphael Personnaz confie ses impressions de tournage. En apparence (seulement), rien n’a changé, toujours le même béret planté sur la tête, le même regard de lac de montagne et la même affection pour les cigarettes. Le teint peut-être un peu hâlé... Rendez-vous chez lui, une viennoiserie à la main face à mon thé au jasmin.
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Le retour n’a pas été évident...
Je suis rentré il y a deux mois et je ne me suis toujours pas réhabitué… Il faut dire que pour moi c’était la première fois que j’allais dans un pays comme le Tadjikistan où il n’y a rien ou pas grand-chose… On s’est trouvés confrontés à une région pas très stable, on était à 20 mètres de l’Afghanistan… dans des paysages hallucinants !
Il y avait eu des attentats au Tadjikistan avant que vous partiez, justement…
Oui, des attentats et 25 prisonniers évadés, mais pas dans la région où on était. Nous étions dans la région du Pamir, l’héroïne afghane transite par là et du coup, bizarrement, la région est stable car tenue de main de fer par les mafias locales. Mais tu sens quand même une tension dans le comportement des gens. Par exemple, la voiture des tadjiks qui bossaient avec nous s’est fait siphonner, puis pendant 4 jours, il y a eu des batailles rangées où les 50 tadjiks de la production ont affronté à coups de barres de fer d’autres du village. La police est là, mais elle intervient à peine. On retrouvait le matin les tadjiks qui travaillaient avec nous avec des yeux au beurre noir, des jambes cassées…
Ce qui était frappant aussi c’étaient les hommes qui se baladent avec des kalachnikovs. La première semaine de tournage, une voiture tournait autour du premier assistant réalisateur, un type est sorti avec un pistolet et lui a dit « ici on est chez nous ». Ca met tout de suite dans l’ambiance !
Dès le départ, le ton était donné…
Le premier jour, on est arrivés dans la capitale Douchambé à minuit et on est repartis à 5H, pour prendre un avion qu’on n’a jamais eu. Donc changement de plan : les quelques heures en avion sont devenues 18H de route en plein Himalaya avec un seul chauffeur ! Et on devait s’arrêter le moins possible vu qu’il y avait clairement des menaces ! On avait cinq militaires tadjiks avec nous avec kalachnikovs qui ouvraient la caravane de jeeps et qui fermaient, des mecs des forces spéciales aussi, c’était un peu tendu !
Tu as eu peur ?
Bizarrement ce n’étaient pas les kalachs mais la route de 18h qui faisait peur. Déjà 18h d’autoroute, ce n’est pas évident ! Mais là, c’étaient des pistes, avec des nids de poule tous les 5 mètres, à pic, avec un seul chauffeur ! Les quatre dernières heures, on était obligés de réveiller le chauffeur à coups de coude ! Tout ça a eu lieu dans la précipitation et la production a dû réagir très vite… C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de blessés, d’accidents…
Ca vous a rapproché ? ça a dû créer des liens d’emblée…
C’est sûr qu’on a partagé une sacrée expérience dès le début, on en parle d’ailleurs encore entre nous ! Je n’ai jamais vu ça de ma vie ! Quand on le dit, je sais que ça ne parait rien. D’ailleurs quand on m’avait dit le matin que ça serait douze heures (finalement ça en a été dix huit) je ne me rendais pas compte de ce que ça allait être... C’était insupportable, tu deviens fou, tu es dans une jeep toute pourrie, comme ça pendant 18h !
Au contraire, ça n’a pas mis une bonne ambiance puisque dès le départ les techniciens comme les comédiens on s’est dit « où est-ce qu’on va ? ». Le lendemain, pendant que les techniciens recueillaient tout le matériel et que les comédiens, nous faisions des essayages, il y a eu des explications entre les personnes de l’équipe et le réal… et on s’est dit : « le tournage ne se fera pas »… Pour des conditions de sécurité : parce qu’il y avait eu l’épisode de la veille et un terrible manque de confiance. On a tous été un peu sous le choc des 18h. Je l’ai appris par la suite mais il y avait eu des menaces de la mafia locale.
Ca, on vous l’avait caché…
Oui, on ne nous l’avait pas dit. Mais ça expliquait beaucoup de choses, notamment les 18 heures. On peut tout endurer je pense mais ce qui est insupportable, c’est d’être tenus à l’écart dans une bulle ! Ce qu’on recherchait en allant sur ce tournage c’était l’aventure et pas d’être isolés comme ça ! Donc on l’a dit. Je me souviens de la conversation que j’ai eue avec Denis et le réal. Je lui avais dit « je t’en supplie ne nous prends pas pour des enfants où tu ne nous dis rien de ce qu’il se passe. On est venus pour ça aussi ». On n’est pas des acteurs hollywoodiens qui ont besoin de leur caravane ! On était venus pour vivre les choses et les comprendre. Ce qui était très humiliant, c’était la mise à l’écart, comme si on ne pouvait pas comprendre ! C’est ce qui a été difficile au début du tournage.
Et maintenant quelle est la nature de vos liens ?
C’est comme une famille, on se revoit tout le temps. Après on verra si ça reste. Mais il est certain que même si je ne les vois pas pendant dix ans je sais de quoi on va se parler. Ce tournage a changé beaucoup de choses pour beaucoup de personnes, au moment du retour à Paris. Tout voyage change des choses, change la vision qu’on peut avoir des choses.
Tu dis que ce voyage a changé beaucoup de choses, mais au retour, on ne redevient pas l’animal social qu’on a toujours été ?
C’est le risque … Il y a deux jours je déjeunais avec un des acteurs, Alain Figlarz, sur le fait qu’on se réhabitue vite aux petites choses qui nous paraissent très choquantes au début quand on revient d’un pays comme celui-là… Mais tu conserves toujours ça dans un petit creux de ta tête… Bizarrement je n’ai jamais été aussi bien qu’en revenant, riche de cette expérience et aussi en accord avec moi-même, quitte à surprendre les gens autour de moi.
Les surprendre comment ?
J’ai changé, je suis moins « politique » qu’avant. J’essaie moins de porter le poids du monde sur mes épaules, je sauve ma gueule. Je suis peut-être plus égoïste, mais c’est mieux pour tout le monde, les autres ne se trompent pas sur moi, ils savent à quoi s’en tenir, au moins les rapports sont plus clairs. Maintenant je dis tout, je ne prends plus de gants. C’est ce que m’a appris la proximité avec un type comme Marius, droit dans ses bottes, qui peut sembler extrémiste, parce que son honneur est tellement important qu’il peut tout dire. J’avais pas mal d’a priori en me disant qu’il fallait faire des concessions, maintenant c’est fini. Ce voyage a été initiatique : une sorte de service militaire en accéléré, ça change beaucoup de choses. Même pour des personnes qui ont plus vécu que moi. Après ça dépend de comment tu reviens, si tu reprends ou non le mensonge quotidien social surtout dans ce métier ou il faut se valoriser... Ça m’a extrait de certaines amitiés. Au-delà de m’apprendre des trucs, ça m’a révélé des choses que j’avais en moi mais que je n’arrivais pas à conscientiser malgré moi.
D’être coupé de tes proches, sans aucun moyen de communication, pendant des mois, ça se gère comment ?
Tu sais que tu vas les retrouver. C’est très déstabilisant au départ, mais tu te recrées très facilement des liens, on vivait dans des yourtes, on mangeait des trucs dégueulasses, et finalement ça recrée une entité.
Une famille... Mais ce n’est pas effrayant justement ? Si on peut recréer des liens si facilement ailleurs, ça veut dire que ceux d’ici ne sont pas si importants que ça…
Non, ça n’enlève pas les liens que tu as d’avant. Ca sociabilise. Finalement, j’étais avec des gens que je n’aurais jamais fréquentés à Paris…
Parce que là, tu es obligé de prendre le temps de faire connaissance ?
Oui, tu es obligé de découvrir les gens. Ca m’a ouvert considérablement. Alain Figlarz par exemple, C’est un cascadeur connu, reconnu, ancien champion d’arts martiaux. Ce type là dans l’avion quand on a quitté Paris, fier avec ses lunettes de soleil, je le regarde et je vois des larmes qui coulent. Je lui demande ce qui ne va pas, il me parle de sa femme, sa fille, que ça va être difficile et là tu vois un gamin. Avec l’image que j’avais de ce mec là, jamais je n’aurais pu penser ça de lui. Qu’il soit à ce point là à fleur de peau, je ne le pensais pas. Ca m’a rendu le bonhomme d’autant plus sympathique et j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Pareil un type comme Marius, un ancien des forces spéciales, c’est un type imposant et en fait c’est la plus grande humanité que j’ai jamais vue. C’est très cliché de dire ça, » le dur au cœur tendre ». Avant j’étais dans la réserve avec ce type de personne.
Tu as su tomber le masque là-bas face aux autres qui eux aussi étaient obligés de le faire… Alors, on ne se dit pas que les liens créés là-bas sont plus vrais et ont plus de valeur que ceux créés ici… ?
Oui c’est pour ça que quand tu rentres tu te dis que tu ne t’es jamais senti aussi bien. Là bas tous les masques sont tombés à un moment donné. Il n’y avait pas de fuite possible par aucun moyen. Là-bas je ne pouvais pas ne pas montrer que j’allais pas bien à certains moments, ou que j’allais très bien à d’autres.
Pourquoi tu allais mal ?
Tout le monde sur ce plateau a eu sa période de down. Tout ça était tellement déstabilisant la façon de tourner de notre réalisateur qui vient du docu a déstabilisé tous les acteurs au début.
Donc c’était pour des raisons professionnelles ?
Oui mais aussi la première semaine, tu te dis que tu as un tunnel devant toi, au bout de 10 jours j’ai eu un craquage, pendant une journée entière, je n’arrivais pas à parler et c’est sorti en gerbe de larmes. On a parlé, ça m’a fait du bien, c’est la première fois que je montre mes faiblesses à des gens que je ne connais pas bien.
C’était un tout ?
Oui, le stress, j’ai été malade les 10 premiers jours, j’avais la tourista, j’ai perdu beaucoup de poids, 6 kilos, je n’ai pas supporté la nourriture. Parce qu’on avait un chef, un soi-disant chef français qui était incapable de faire cuire une patate ! C’est-à-dire qu’on avait des patates crues ! Et le type nous expliquait qu’en altitude on ne peut pas faire cuire les choses. Donc tous les gens qui habitent dans les montagnes bouffent cru !
Il est resté longtemps ?
Un mois et trois semaines, le temps de notre séjour au Tadjikistan. J’ai cru qu’il allait y avoir un meurtre. Quand tu travailles comme un acharné, dans un film d’action, c’est tellement important le moment où tu te poses pour manger… Et là c’était vraiment dégueulasse, mais vraiment.
Des exemples !
On mangeait beaucoup de yak, du bœuf en plus fort, ce n’est pas mauvais sauf quand c’est mal cuisiné... Alors lui il nous a fait de la moussaka avec du yak, de la « moussayak », des « yakettis bolognaises »…
Mmmh !
On a tout eu, le yak sous toutes ces formes ! On n’en pouvait plus du yak ! Mais la bouffe tadjik est excellente, on a pu en manger dans des petits trucs locaux, c’est une cuisine entre la cuisine chinoise et la russe. C’est très bon. Donc ce n’était pas un problème d’aliment mais un problème de chef. Magimel a perdu dix kilos. Et il a dit « on était au Tadjikistan avec un escroc ».
Quel regard portes-tu sur le film, maintenant ?
Le réalisateur est sacrément "burné" quand même, pour un premier film, il s’est mis de sacrés trucs dans les pattes, c’était un film d’action super difficile à faire et ce type là n’a jamais lâché ! Y’a eu quelques accroches avec les comédiens, techniciens… Au final j’ai un respect profond pour lui, qui est allé au bout de son film. Après je ne sais pas ce que ca va donner, je n’ai aucun recul, j’ai juste vu un teaser vachement bien !
Et sur ta prestation, franchement ?
Je demande à voir, on était tellement déstabilisés… encore une fois, j’ai du mal à avoir du recul sur ce film-là. Et puis je n’avais pas un rôle bavard, donc c’est plus une écoute que je devais avoir et ça, ça m’a frustré parce que je suis plus du genre à parler – tu l’auras remarqué ! C’est un exercice que je n’avais jamais pratiqué, et là honnêtement j’ai essayé des choses… Mais je ne saurais pas dire. Je mêle tellement tout ce qu’il y a eu lieu sur le plateau et en dehors du plateau… Pour moi, ça fait un tout. Je n’arrive pas à faire la différenciation. Le matin quand je me levais, je mettais mon treillis. C’était le cas pour tout le monde, le soir pareil. Pas une seule fois j’avais l’impression d’aller sur le plateau, pour moi, c’était tous les jours.
Mais on ne se prend pas trop pour son rôle du coup ?
Non, je ne tirais pas de talibans entre les prises !
Le côté physique du rôle, tu en rêvais ?
Ca a été dur. J’ai le rôle du sniper qui court énormément dans le film mais on était à 3500 m donc de l’oxygène tu en as moins. Il faut trois semaines à l’organisme humain pour s’habituer à l’altitude. Donc les trois premières semaines, qui plus est avec mes six kilos en moins, j’ai morflé. Il y a même eu une séquence en particulier - je n’avais jamais ressenti ça de ma vie, heureusement c’était la fin du plan – où j’ai eu la sensation de jambes coupées. Ton cerveau a beau dire « allez ! », tu ne peux plus. En fait je l’ai aussi eu une autre fois où on a pris un hélicoptère (c’était mon baptême d’hélico, pour l’occasion), ils m’ont déposé à 4400 mètres, l’équivalent du Mont blanc ! J’étais avec tout mon attirail qui pesait quelques kilos, l’hélico a redécollé, ils m’avaient mis un talkie et là ils me disent « cours ! ». Honnêtement je tenais vingt mètres à un bon rythme de course ! Ils me disaient « il faut le refaire ». C’était très éprouvant mais après, une fois que c’est fait, ce que tu es content ! Et c’est tellement unique, quand tu te retrouves à 4400 m tout seul ! J’espérais qu’ils puissent se poser à nouveau quand même ! Il y a aussi tout ce qui est tirer avec les armes etc, au début ce n’est pas simple. Mais au bout d’un moment, ça devient tellement une habitude… que là aussi tu découvres des trucs de ta personnalité, en te disant, que si tu avais été entrainé à faire ça, tu ne te poserais plus de questions au bout d’un moment. C’est assez révélateur sur la nature humaine.
Ton premier rôle d’action, donc plein de premières fois…
J’ai eu droit à des plans séquences, comme quand tu es gamin et que tu joues aux cowboys et aux voleurs. J’ai adoré ça. Avec des détonations, des explosions. Une fois, j’étais poursuivi par un taliban avec un lance roquettes, je me refugie dans une maison, le taliban envoie une roquette sur la maison… et là j’ai eu droit à mon plan à la James Bond, avec la caméra au sol, l’explosion derrière moi. Tu sens le soufre, les flammes, et tu flippes évidemment… Ca donne une telle sensation…
Tout ça c’était la première fois que je le faisais, le vol d’hélico, l’avion de transal pour faire du parachutisme,.... Tu te dis que dans ta petite école de théâtre, tu n’étais pas préparé à ça.
Il y a aussi eu des moments au-delà du jeu. Un en particulier. On était séparés de l’Afghanistan par une rivière seulement, donc ils ont connu les Russes en Afghanistan, Massoud, c’était des combattants, ils ont connu la guerre. Or il y a un moment calme dans le film, où les forces spéciales entrent dans un village et viennent à la rencontre du chef du village (joué par un acteur tadjik) qui leur explique que tous les enfants du village avaient tous été enrôlés par les talibans dans des écoles coraniques. Ca c’était la séquence. Les figurants étaient des habitants du village et à côté de moi il y avait trois petites vieilles dames, des visages super marqués, magnifiques. L’acteur tadjik commence sa réplique en afghan et pendant la prise, je regarde à côté de moi et je les vois toutes les trois en pleurs. Tu as juste à prendre ce qu’il y a autour de toi, tu ne joues plus. Et ça a été comme ça souvent. Que veux-tu jouer ? Tout est là ! C’est la force du réalisateur de nous avoir emmenés jusque là, dans des lieux le plus proche possible de la réalité. Il a voulu ça et il a capté des choses qui nous échappaient totalement.
Au début il y a eu une résistance inconsciente parce que tu as besoin de comprendre, de rationnaliser et puis au bout d’un moment on a lâché prise, on n’a plus voulu tout contrôler
Quel est le prochain film sur le feu ?
Je tourne en mars avril avec Julie Gayet, un premier film de Géraldine Maillet qui a déjà fait pas mal de courts métrages, et qui est auteur. Changement d’ambiance, c’est une histoire d’amour, pour l’instant ça s’appelle « Passage du désir » - j’aime beaucoup ce titre, c’est sur comment le désir nait une nuit à Paris entre un homme et une femme, et ça restera peut-être une nuit... Une nuit dans les rues de Paris, pas dans une chambre d’hôtel !
Donc là tu es un peu en vacances…
Oui et non, ça se prépare quand même !
(*) Raphaël est nommé dans la catégorie « meilleur espoir masculin » pour le rôle du duc d’Anjou dans « La Princesse de Montpensier » de B. Tavernier.
Chouette interview, très agréable, et qui rend très attachant un homme attachant. Ben, mon neveu! il semble que le Pamir (et pas l'Himalaya) nous l'a changé. C'est bien de pousser l'aventure au-delà du périphérique et de la pellicule. Bonne chance à Raphaël et bravo pour ce blog.
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