1H15 avec Pierre Hermé








Il l'appelle son « tailleur Chanel », Pierre Hermé sort une collection de pâtisseries autour de sa pièce fétiche : l'Ispahan. L’association rose-framboise-letchi est réinterprétée sous toutes les formes : du croissant au cheesecake en passant par le Paris-Brest et la confiture. Rencontre avec le chef dans son bureau parisien un après-midi de pluie.
Un plateau de macarons à portée de main.

La pâtisserie, c'est une histoire de famille. Votre père était pâtissier. S'il avait été patineur artistique, vous auriez fait comme lui ?

C'était le seul moyen de voir mon père : j'allais dans sa pâtisserie, et en le voyant travailler, cela m'a donné envie. À 9 ans, je voulais devenir pâtissier ! Je ne pensais qu'à ça. Donc à 14 ans, après le BEPC, j'ai commencé à travailler auprès de Gaston Lenôtre à Paris.

Comment devient-on le meilleur ?

Je n'avais qu'une seule peur : que Gaston Lenôtre me renvoie chez moi ! Je voulais tout faire et je le faisais savoir. J'avais une soif d'apprendre. Je potassais des bouquins. Quand j'y repense, j'ai envisagé mon métier de pâtissier comme on fait des études. On va en cours puis on continue d'apprendre chez soi, par la lecture notamment, pour compléter la formation. C’est ce que j’ai fait.

Lenôtre, vous dites que c'était un excellent patron, au charisme débordant.

Oui, Il était paternaliste. J'ai appris avec lui ce qu'était la rigueur, le sens de l'organisation, l'importance de la qualité des produits. Les bases de mon savoir-faire d'aujourd'hui. Mon socle de références.

Vous dites-vous parfois que vous êtes peut-être en train de former le Pierre Hermé de demain ?

C'est déjà fait ! J'ai formé une bonne partie des pâtissiers dont on parle aujourd'hui. Christophe Michalak. Frédéric Bau. Christophe Felder.

Vous êtes passé par Lenôtre, Fauchon, Ladurée... Quand avez-vous pris la décision de créer votre propre marque ?

J'ai voulu créer ma propre entreprise pour pouvoir faire mon métier tel que je le conçois, tel que j’en ai envie. Quand on travaille pour une maison, il y a forcément des contraintes liées à son histoire, à son style. Notre volonté avec mon associé et cofondateur Charles Znaty, n'était pas d'ouvrir une pâtisserie mais de créer une marque de luxe dans le domaine de la pâtisserie. Ce qui, en 1996, n'existait pas.

Il vous fallait créer votre maison pour être audacieux ?

L'audace, j'en ai toujours eue. Lorsque j'ai créé le gâteau Paradis chez Fauchon, par exemple. Ça fait partie de ce que je suis. C'est basé sur une grande curiosité. Je m'intéresse au vin, à la parfumerie, à la mode, au design, à la peinture contemporaine...

Tout est source d'inspiration ?

Ça peut être une conversation, une lecture, une rencontre. Par exemple, un jour dans le Figaro Madame, j'ai lu un article sur une agence qui fabrique des végétaux stabilisés. Je les ai rencontrés, et nous avons créé une boite Initiation aux macarons avec un parterre végétal au centre. Mais la plupart du temps, le déclencheur est un ingrédient.


INITIATION LES JARDINS • Coffret 20 macarons • 72,00 €

Vous essayez de goûter tout ce qui est possible et imaginable ?

Ce n'est pas une démarche proactive, il y a une part de hasard et de curiosité. Je me rappelle, lors d’un voyage en Islande, que l’on m'avait proposé de la baleine, et même si je suis contre le fait qu'on tue les baleines, j'ai goûté. Il y avait aussi une patte de phoque dans du lait tourné, c'était horrible. Dernièrement, j'ai découvert un fruit péruvien, le Lucuma qui a un goût de réglisse... Je vais en faire quelque chose.

La recette prend du temps à mûrir dans votre esprit ?

Parfois, c'est spontané. Quand j'ai travaillé sur le café, quelqu'un m'a dit qu'il mettait toujours de la fleur d'oranger dans son café. J'ai essayé. J'ai fait un macaron café, fleur d'oranger et compote d'orange confite. C'est délicieux !


Macaron JARDIN DU SULTAN • Café, Fleur d’Oranger, Orange confite • Septembre 2014
Café, fleur d’oranger et orange confite. Des notes d’Orient que Pierre Hermé réveille avec délicatesse dans ce macaron à l’allure souveraine. Une succession de goûts. Au palais, le café attaque pour mieux se laisser taquiner par l’exubérance de l’orange. Puis, la fleur d’oranger impose son parfum et reste longtemps ... Un délice.

La baleine ne vous a rien inspiré ?

(rires) Non ! On dirait du bœuf d'ailleurs.

J'ai lu que la composition chez vous était d'abord mentale.

(il sort un gros classeur de son placard) Je fais des schémas, plusieurs pistes, des dessins. Lorsque j’ai une idée en tête, je réalise un croquis, j’écris la recette, et je partage l’ensemble ensuite à mes équipes qui se chargeront des essais.

Et vous conservez tous les brouillons ?

Je les ai tous gardés depuis 1984 !

C'est votre Bible en fait ! Une ébauche de 1984 pourrait devenir une recette aujourd'hui ?

Oui. En 2004, j'avais voulu faire un cake au fruit de la passion et au chocolat au lait. Quand je l'ai goûté, je ne l'ai pas trouvé intéressant. Et c'est l'an dernier que j'ai trouvé la solution. J'ai ajouté du fruit de la passion séché et j'ai mis une couche de ganache épaisse sur le cake. Lorsque je découvre un nouvel ingrédient, il m’arrive de modifier une recette pour la faire évoluer, même si je la trouve formidable telle quelle.

Votre chef d'oeuvre, l'Ispahan, il pourrait évoluer ?

C'est le cake Ispahan qui me plait moins en ce moment. Je réfléchis, je retravaille la réinterprétation de l’équilibre des saveurs et son apparence.

Mais le gâteau Ispahan, vous n'y touchez pas !

Ce serait difficile de faire mieux.

C'est difficile d'atteindre la perfection ?

Je déteste la perfection.

Alors si ce n'est pas parfait, qu'est-ce que c'est ?

C'est bon ! (rires) La différence entre la perfection et le souci du détail est très importante. Le souci du détail permet de s'autoriser des surprises alors que la perfection a quelque chose d'aliénant et de systématique qui me dérange.

Une des particularités de la maison Hermé, c'est le sur-mesure : un fantasme ?

Nous avons eu des demandes de gens qui voulaient avoir des choses spécifiques, pour une certaine occasion par exemple. Donc nous avons pensé à la possibilité de réaliser son propre macaron, avec une recette qui appartient au client.

La demande la plus folle ?

Une demande de macaron au cigare. J’ai alors créé un macaron à base d'infusion de tabac de cigare que j'ai associée à une réduction de whisky pur malt et à du chocolat. C'est délicieux. L’ensemble a un côté très confit, quand je le goûte, ça me donne une poussée de chaleur !

C'est un macaron qu'on ne goûtera jamais ? Vous ne pouvez pas le commercialiser ?

Non, on se l'interdit. La recette appartient exclusivement à celui qui en a fait la demande.

Le sur-mesure, c'est possible pour tous vos produits ?

Oui, cela marche aussi pour les gâteaux. Carole Bouquet par exemple a son entremets, aux poires, figues et pêches.

Vous ne voulez pas goûter un macaron ? (Sur le plateau : dix macarons)

Si si ! C'était pour ne pas vous parler la bouche pleine ! Quel est votre macaron préféré ?

C'est à chaque fois le prochain ! En ce moment, je m'intéresse à l'Immortelle, une fleur que l’on trouve en Italie mais surtout en Corse. Elle a un goût particulier. Et je trouve le nom tellement joli.

C'est amusant de se dire qu'à vos touts débuts d'apprenti, vous n'aimiez pas les macarons !

Oui, en fait, c'étaient deux biscuits que l'on collait avec un peu de ganache, de confiture ou de crème au beurre. Je trouvais que ça n'avait pas assez de goût. Je ne comprenais pas pourquoi on mettait si peu de garniture, alors que c'est la garniture qui donne le goût. D'ailleurs mes macarons sont très garnis, c’est ce qui fait leur particularité.

Mmmh, votre macaron au café vert est délicieux !

C'est au café vert et au café Bourbon Pointu de la Réunion. Il est très subtil et suave. C'est un goût de café que l’on connait peu. En pâtisserie, le café se résume la plupart du temps à un mélange de Nescafé et d'essence de café.

Qu'est-ce qu'il faut faire pour devenir un macaron intemporel ?

C'est moi qui décide et il y en a quatre : Mogador, Infiniment Rose, Caramel au beurre salé et Infiniment Chocolat Porcelana. Le chocolat Porcelana, nous n’allons plus en recevoir, c'est une plantation au sud du Venezuela que Chavez a nationalisée en fin d'année dernière. C'est l'Infiniment Chocolat Pérou qui va le remplacer.

Le joker devient titulaire ! Il y a des saveurs que vous vous refusez de travailler ?

Je n'ai pas d'affection particulière pour le thym ou le romarin. En revanche, j'adore la coriandre. J'ai fait un macaron « Jardin sur la Baie d'Ha Long » à base de coco, gingembre, coriandre fraîche, citron vert. Pour l'année prochaine.



Macaron JARDIN SUR LA BAIE D’HA LONG • Noix de Coco, Gingembre, Citron Vert & Coriandre fraîche • Juillet-Août 2014
Une promenade au long des côtes escarpées du Vietnam où l’exubérance de la crème à la noix de coco habillée de zestes de citron vert et de gingembre est assagie en son coeur par l’éclatante fraîcheur herbacée de la coriandre

Vos macarons, quand vous les voyez, vous éprouvez encore l'envie d'en manger ? Vous n'en prenez pas là !

Je les adore ! Si vous n'aviez pas mangé l'autre moitié du macaron au café vert et Bourbon Pointu de la Réunion, je l'aurais prise ! (rires)

Il faut faire une pétition pour qu'il reste ? (ndlr la saison Infiniment Café s'est terminée le 20 octobre)

(rires) C'est drôle ; on nous le réclame surtout dans le 16ème arrondissement de Paris.


1H15 avec Matthieu Pigasse


Dans la grande salle de réunion de la banque Lazard, on a à peine le temps de l'attendre. Matthieu Pigasse arrive d'un seul coup. Et même s'il s'assoit sagement sur sa chaise, il occupe tout l'espace, avec ses mains bougeantes et fougueuses, le sourire en coin, souvent moqueur, le regard à la fois franc et dominateur. Prolongements de sa personnalité changeante, fine et habile.

DSK dit de vous "C'est un garçon drôle et volontiers taquin, on tombe vite sous son charme". Vous pensez qu'en une heure et quart ce sera suffisant ?

Vous me le direz à la fin de l'interview !
 
Vous avez un rapport particulier au temps, vous ne perdez pas de temps à manger par exemple... Ça fait penser au repas du guerrier, qui ne mange jamais trop avant une bataille pour garder son corps sous tension.

Le temps, ce n'est pas que j'ai peur de le perdre. Il n'y a rien à perdre ni à gagner. La vie n'a pas de sens en soi, ce qui compte, c'est le sens qu'on lui donne. Il faut donc agir, toujours. Je fuis le vide, le rien.

Manger, c'est du temps qui ne sert à rien ?

C'est autre chose, ce n'est pas une question de rapport au temps. C'est le refus de la satisfaction, d'être repu. La volonté d'être en permanence dans une forme de tension... et elle nait à mon sens d'une non-satisfaction. Il vaut mieux être dans le désir que dans le plaisir.

Il n'y a pas de plaisir chez vous ?

Le plaisir est dans le désir.

Comment peut-on éprouver du plaisir dans une attente jamais satisfaite ?

Les lendemains du plaisir sont toujours décevants.

Mais le désir tout court est sans lendemain...

C'est pour ça qu'il est formidable. C'est une espèce de quête permanente.

Vous avez quand même deux petits péchés : les Chupa Chups et le Coca Cola.

Et les bonbons en forme de bouteilles de Coca-Cola aussi... Le sucre est une espèce de moteur.

Vous ne perdez pas de temps non plus à dormir. Que faites-vous la nuit ?

Les gens qui disent être heureux de ne pas dormir mentent. C'est un temps qu'il faut arriver à occuper, à faire passer. Alors je fais des jeux vidéos, c'est une façon de sortir du temps, je regarde la télé aussi, notamment la téléréalité. Je pense que c'est un miroir du moment. Je suis comme cela les Chtis depuis Ibiza.

Nabilla, vous aimez ?

La première fois, le "allô", c'était rigolo, mais quand vous entendez le dire douze fois, puis douze fois encore, quand vous entendez même un "double allô", vous vous dites qu'ils en font trop. Moi, ce qui m'intéresse, c'est précisément la spontanéité qu'il peut y avoir parfois. 

Ce n'est pas du voyeurisme ?

Non, c'est de la curiosité. J'aime quand on laisse la caméra tourner. Pour essayer de comprendre, pour saisir l'esprit du moment. Par exemple j'ai appris plein d'expressions en regardant les Chtis : vous savez ce que veut dire "t'es un chabert" ? Ca veut dire "t'es un ringard". Et l'autre expression que j'aime bien : "t'es shogun ce soir". C'est quand ça va vraiment super bien.

Vous les employez tous les jours ?


Non, je reste moi-même !
 
On a du mal à vous imaginer, vous le banquier d'affaires, en train de regarder "Les Chtis à Ibiza". Vous cherchez les extrêmes.

Je viens d'un village où les gens étaient comme je les vois dans les Chtis. Il n'y a rien qui me choque ou me surprenne. Je ne vois pas où est l'extrême. C'est moi.

Ce village, c'est Règneville-sur-Mer dans la Manche. C'est là que vous vous êtes découvert punk. Vous aviez un groupe qui s'appelait "Les Mercenaires du désespoir"... Il fallait être Normand pour être désespéré ?

Pas seulement Normand, mais Manchot, c'est pire encore ! ... Le punk c'est ma jeunesse. Ma soeur me l'a fait découvrir en un disque et un morceau. Je m'en souviendrai toute ma vie : "Janie Jones" des Clash. Rapide, intense en rage. En écoutant, je me suis dit "c'est ce que je veux être". Ils ont une chanson dans l'album qui pour moi résume le punk : "Garageland". À un journal anglais qui disait qu'ils étaient un "groupe de garage", ils ont répondu : "Oui, on vient d'un "garage land" et on vous emmerde". Ils m'ont fait comprendre une chose : que tout est possible. Vous pouvez n'être rien, venir de nulle part, ne savoir rien faire et pourtant changer le monde. Le "groupe de garage", qui ne savait jouer que trois accords, a changé ma vie en me montrant que tout est possible, qu'il n'y a pas de limite. "Do it yourself", c'est un des slogans du punk.

Vous dites qu'ils ont changé votre vie. Mais pour qu'ils la changent, il fallait bien une action de votre part... Vous avez votre part de responsabilité.

On pourrait parler des heures de ce sujet. Je pense que l'inégalité est un phénomène social et non naturel. C'est de l'environnement, familial, social, géographique, professionnel, que résultent les inégalités. On nait tous égaux puis s'opèrent des divergences qui sont le produit de la chance, d'être bien né ou non, des rencontres. La chance que j'ai eue, c'est de rencontrer une musique, le punk, des auteurs de combat, la poésie, ce n'est pas un art bourgeois ou statique consistant à faire des vers, c'est le refus de ce qui est. Il y a aussi eu des rencontres qui m'ont marquées, avec des professeurs par exemple.

Après ce déclic, il a bien fallu travailler pour y arriver ?

Je me suis mis à lire, à écouter beaucoup plus. Avec un objectif : faire du bruit, essayer d'agir sur les choses et puis faire de la politique. Ce qui ne veut pas nécessairement dire faire de la politique politicienne.

Mais c'est ce que vous visiez, la politique tout court ! On ne passe pas l'ENA comme ça !

J'ai passé l'ENA par accident ! C'était la seule école où on pouvait gagner de l'argent en étudiant... je plaisante... Si j'ai fait l'ENA, c'est par amour de la chose publique. Le but premier, c'est de donner à chacun la possibilité d'agir sur sa vie, c'est ce qu'à mon sens doit permettre l'action publique.

Vous avez l'impression aujourd'hui d'avoir donné la possibilité à certaines personnes de changer leur vie ?

C'est une question cruelle. Je n'ai pas fini de faire ce que j'ai à faire.

On sait quand ça commence à porter ses fruits.

On sait quand on contribue, même modestement, à la place qui est la sienne, à quelque chose de bien. Participer à la restructurations des dettes de la Grèce ou de l'Argentine, qui étaient des pays à terre, dans l'intérêt des populations face aux marchés financiers, c'était bien.

Le terrain privilégié pour le changement, ça reste quand même la politique. Vous n'imaginez pas y revenir un jour ?

Je n'y suis jamais venu ... Mais je pense surtout que tout est politique, écrire une chanson, un livre, militer dans une association etc. C'est une vraie question : où sont les premiers leviers d'action et d'influence ?

Vous insinuez qu'ils ne sont pas à l'Elysée ?

Je ne sais pas, il faut demander à son occupant actuel. Je pense néanmoins que c'est plus diffus qu'autrefois. En raison de l'évolution du monde, de la globalisation, des réseaux sociaux, de la réduction du poids de l'Etat, et à l'inverse de la montée des contre-pouvoirs. Il y a une plus grande diffusion du pouvoir donc les moyens d'action sont plus divers qu'ils ne l'étaient jadis.

Votre part de punk contraste avec la "gauche caviar" que vous pouvez incarner...

Je trouverais étrange d'incarner quelque chose que je ne connais pas ... Par principe, je n'ai jamais mangé de caviar de ma vie et je ne suis jamais allé à l'opéra. Parce que je me suis dit, jeune, que je devais ce que je suis à une culture, Clash et les autres, et que je leur serai fidèle à jamais.

C'est très enfantin comme renonciation !

Il y a une très belle chanson du groupe punk américain "Seven seconds" : "Young till I die", jeune jusqu'à ce que je meure... 

Vous n'avez jamais écouté une note de musique classique ?

Jamais. Evidemment que je passe à côté de quelque chose...

Oui, il y a peut-être des morceaux qui vous bouleverseraient encore plus que celui des Clash.

Peut-être, mais j'ai grandi contre. Contre ce que cela représentait pour moi, contre ce que je pensais que cela incarnait. Je ne changerai pas.

Qu'est-ce qu'il reste de cet adolescent qui a décidé d'être punk ?


Le refus de la norme, de la bien-pensance, autrement dit le fait de penser qu'on puisse bien penser. 

Quels sont les personnages publics que vous trouvez punks aujourd'hui ?

Je n'en vois pas dans les politiques. Houellebecq a une forme de refus que j'aime bien. 

Vous êtes dans le refus pour le refus ou vous refusez pour reconstruire après ?

Dire non c'est dire oui.

Pas toujours.

Vous avez raison. Il y a par exemple dans le punk historiquement deux courants : un courant nihiliste qui a conduit à la "cold wave" : Joy Division, Cure, Antony & the Johnsons ... Et puis il y a un autre courant, avec les Clash, qui part du même constat mais qui dit qu'il ne faut justement pas se résigner et se battre pour changer l'avenir.

Et vous appartenez au deuxième courant ?

Je bascule de l'un à l'autre. 

Donc vous avez des moments de grand désespoir...

Je suis un désespéré actif ... je me dis qu'il faut agir, sinon pour soi au moins pour les autres.

Pour agir, il y a Lazard, mais aussi les Inrocks, Le Monde, etc, la liste est longue. Les médias c'est de famille, c'était dans votre ADN ?

Certainement. J'étais l'aléa statistique, l'erreur, celui qui passe à côté. J'essaie de revenir dans le droit chemin.

Concernant les Inrocks, vous vouliez étoffer le site web. C'est fait. Mais aussi y adjoindre une radio. C'est toujours à l'étude ?

L'idée c'est de s'appuyer sur la culture pour parler du monde et avoir un rapport au monde. Le monde évolue donc les modes de consommation aussi. Si on peut porter le message sur de nouveaux vecteurs il faut le faire.

Mais la radio, c'est un vieux média !

Oui et non ! Jamais un média n'en a tué un autre. La radio n'a pas tué les journaux, la télé n'a pas tué la radio ni les journaux, internet n'a pas tué la télé ... Il y a un cycle de l'information dans une journée : on se lève avec la radio, ensuite on lit les journaux, puis on passe à internet, la radio à nouveau en fin de journée et ensuite la télévision...  

Pourquoi pas une chaîne de télé alors ?

Pourquoi pas ... Mais la télé, au sens classique du terme, hertzienne ou numérique, évolue elle-même très vite ... Elle sera demain "connectée" : Votre écran sera à la fois télé et internet. 

Justement, celui qui essaie de s'adapter c'est Nicolas Beytout. Que pensez-vous du modèle du journal l'Opinion ?

Je suis très embêté, je ne l'ai pas encore lu. Je salue le courage de lancer un journal aujourd'hui et la prise de risque que cela représente, mais je me méfie des modèles hybrides, chauves-souris, mi papier mi web, je crains qu'ils ne soient au fond ni l'un ni l'autre.

Vous envisagez d'autres investissements dans la presse ? 


Il ne faut jamais cesser d'envisager ! Tout est possible. 

Comment fait-on pour tout bien faire quand on fait autant de choses ?

Le but, c'est de faire. Qui a dit qu'il fallait tout bien faire ou que moi je faisais tout bien ? Ce n'est ni un objectif ni une prétention. Je pense juste qu'il faut faire, essayer. Ne pas faire c'est mourir. 

Vous avez dit : "J'avance pour combler mes manques". Qu'est-ce qui vous manque aujourd'hui et qui vous fait avancer ?

Tout.

C'est une non-réponse.

Je ne sais pas définir le manque et je ne veux pas le définir. Ce qui me manque là par exemple, c'est de la musique.

Vous avez peur du silence ?

Pas peur, non.  Je n'aime pas le silence, ça me trouble. Il faut habiter l'instant, le peupler, le faire vivre... Ce qui m'inquiète dans le silence, c'est le temps qui passe.

Banquier à vie ?

Banquier est un passage. J'ai fait autre chose avant, je ferai autre chose après.

Quoi ?

Je ne sais pas.

Vous, le joueur d'échecs, vous n'avez pas un coup d'avance ?

J'aime aussi jouer au poker. Là, il y a zéro coup d'avance !

Peut-être que vous bluffez alors...

(sourire) Sincèrement, je ne sais pas moi-même ...


Playlist :


"Janies Jones" - the Clash http://www.youtube.com/watch?v=kyoW0tf6N-Q


"Garageland" - the Clash




"Young till I die" - Seven seconds



"The End of the day" - Anti-Nowhere League 


"Revolution" - Pennywise


"Shadowplay" -  Joy Division


"Siamese twins" - The Cure


"You are my sister" - Antony & the Johnsons


"I know it's over (live)" - Jeff Buckley


1H15 avec Michel Denisot



"Les seuls concours que j'ai réussis, ce sont les concours de circonstances"


La télévision n'a plus aucun secret pour lui, mais lui a su garder tout son mystère... 
Une énigme en gilet noir, décontractée, sans sa cravate en maille du soir. 
Michel Denisot me reçoit dans son bureau un jour de pluie. 
Le regard impassible et le sourire impénétrable.
1h15 avec un sphinx format 16/9.
Un tableau du Bhoutan sur une commode, une plante verte au tronc tressé dont il ignore le nom, une machine à café et des cartons.

L'interview, c'est votre métier... Quelle serait une bonne première question à Michel Denisot ?

« Comment ça va ? ». Dans notre métier, il y a quatre questions : « où, quand, comment et pourquoi ». Et après il y a : « à part ça ? ». J'ai fait une émission qui s'appelait comme ça... Je trouve toujours qu'on parle trop, il y a trop de mots dans les phrases. On peut toujours faire plus court. J'adore l'exercice des brèves. Quand on a trois feuillets sur l'Afghanistan et qu'on doit en faire une ligne et demie, on peut y passer sa vie ! C'est un travail de moine qui demande beaucoup d'humilité et d'exigence en même temps !

Une bonne interview se fait avec des questions courtes ?

C'est d'abord écouter et ne pas être crispé sur son questionnaire. Parfois, l'intérêt de l'interview, s'il y en a un, n’est pas celui qu'on avait en tête avant de la faire. C'est un exercice jamais parfait, qui est toujours à refaire. Passionnant. Quand on a fini, on voit toujours ce qu'on aurait pu faire de mieux.

La première question que j'avais préparée, c'était vous demander votre numéro de carte de presse...

27 329 !

Il y en a eu des numéros depuis !

(rires) Ça ne date pas d'hier ! Il m'a fallu du temps pour l'avoir, c'est mon seul diplôme ! Même si je n'ai pas renouvelé ma carte pour des raisons administratives, j'éprouve toujours la satisfaction de l'avoir. C'était mon objectif dans la vie !

Depuis tout petit ?

Oui j'ai eu la chance de savoir très tôt ce que je voulais faire. A 15 ans.

Quel a été le déclic ?

La curiosité. J'étais très intéressé par la presse, je lisais les journaux, j'écoutais la radio. J'ai fait un stage pendant l'été dans un des deux quotidiens locaux de Châteauroux, et ensuite je n'avais plus envie que de ça. Je ne faisais plus rien à l'école parce que je ne pensais qu'à ça. J'aimais ce métier et je l'aime toujours pour cette raison : pour moi, être journaliste c'est raconter des faits, de la façon la plus précise possible ; ce n'est pas donner son avis, ça c'est être éditorialiste.

Comment imprimer sa marque alors ?

Notre métier, ce n'est pas d'imprimer notre marque. Ce n'est pas un métier de vedettes, aujourd'hui on voit les choses à l'envers. C'est un métier austère, noble. Les grands journalistes, ce ne sont pas des gens qui se font arrêter dans la rue. On peut aussi être connu mais la base du journalisme est anonyme. Ce n'est pas devenir une marque, là on passe dans un autre métier.

Un Michel Denisot, ça ne pourrait plus exister aujourd'hui...

Les temps ont beaucoup changé ! Moi je suis né avant la machine à laver ! (rires) Les moyens de transmission de l'information ont été bouleversés. Maintenant, on consomme de l'information... L'avantage c'est que tout le monde est hyperinformé mais on a peu de temps pour la réflexion... Et les parcours sont différents. Moi, j'ai commencé en étant localier pour un journal qui n'a rapidement plus eu de place pour moi. Aujourd'hui je les en remercie parce que sinon, j'y serai peut-être encore… Même si je n'aurais sans doute pas été malheureux !

Vous pensez vraiment que vous seriez resté sagement là-bas ?

On ne sait pas dans la vie comment ça se passe... Les seuls concours que j'ai réussis, ce sont les concours de circonstances. C'est important dans notre métier de saisir la chance ; mais on a de la chance que si on va la chercher... Il faut travailler. Il faut se rendre disponible. Il faut essayer de se rendre indispensable quel que soit le niveau de notre boulot. Et puis être toujours en éveil. C'est pendant mon service militaire que j'ai rencontré le journaliste Pierre Salviac qui rentrait de la radio de Limoges et qui arrivait à France Inter. Il m'a dit d'aller voir à Limoges s'ils avaient du travail pour moi.

Faut le vouloir déjà d'aller à Limoges !

Il ne faut pas avoir d'a priori comme ça ! Partout, c'est intéressant. Il n'y a pas que les grands endroits du monde ! Moi, tout m'intéresse, je suis curieux de tout. Il n'y avait pas de place de titulaire donc j'étais pigiste. J'ai fait de la radio régionale puis de la télé régionale par accident.

Quel accident ?

C'était en juillet, pendant les vacances. Le chef n'était pas là et le présentateur du JT du soir avait un rencard à l'heure du journal… il y tenait beaucoup ! Il m'a demandé de le remplacer, je l'ai fait. Le lendemain on s'est fait engueuler ! Mais du coup j'ai continué. Vous voyez, les concours de circonstances ! Ensuite j’ai eu une place à Poitiers, à Bordeaux, à Reims... Dès qu'il y avait un poste, j'y allais ! Les télés régionales, c'est intéressant, on peut toucher à tout. Je ne suis spécialiste de rien mais j'aime tout. Après, au bout de deux ans, j'avais fait le tour des sujets. A Reims, par exemple, c'est Colombey-les-deux-églises, le champagne... La première fois, on est content, puis après il faut recommencer... C'est un choix de vie… Moi, je suis parti à Paris… Il y avait un petit boulot qui s’appelait « coordination des stations régionales ».

N'était-ce pas frustrant de faire ça après avoir présenté des journaux radios et télés ?

A l'époque, Cognacq-Jay, c'était un lieu sacré pour notre métier. En tout cas pour moi, ça l’était. Le premier jour où j'y suis entré, j'étais émerveillé. J’étais dans les mêmes bureaux que ceux qui faisaient le 20h ! Je n'étais pas du tout frustré, au contraire. De temps en temps, il m’arrivait d’apporter les jus d'orange et les cafés à Gildas et Elkabbach... 

Ils vous ont mené loin vos jus d'orange ! Que mettiez-vous dedans ?

J'achetais du jus d'orange « Banga ». Christian Dutoit était le rédacteur en chef du 13H de l'époque, il m’avait surnommé comme ça. Ensuite il a créé LCI, itélé, puis il a été membre du CSA. Et je pouvais l’appeler quand je voulais, il suffisait que je dise que c'était « Banga » à l'appareil pour qu'il me rappelle immédiatement !

Qui a cru en vous ?

Moi ! (rires) Mais sans exagération ! Je vois assez vite quand quelqu'un va marcher. Au bout de 5 minutes, j’ai vu que Louise Bourgoin allait devenir quelqu'un... J’ai vu que Marc-Olivier Fogiel, même s'il n'était pas prédestiné, allait y arriver parce qu’il en voulait tellement… Je savais qu’il franchirait les obstacles personnels qu'il pouvait avoir, face à une caméra par exemple. Pour Jean-Luc Delarue, j'ai su au bout de deux secondes.

Êtes-vous un bon chef ?

Je suis du bâtiment et j'ai connu une période où les chaines de télé étaient dirigées par des gens du bâtiment : Lescure, Mougeotte... Ils avaient tout fait donc ils connaissaient le produit. Aujourd'hui les chaînes sont dirigées par des chefs d'entreprises qui savent s'entourer. C'est le cas de Méheut aujourd'hui. On n'est pas des artistes, on est des fabricants de programmes.

La rencontre de votre carrière, c'est Yves Mourousi...

Oui, c'est ma rencontre professionnelle la plus importante... J'ai fait le 13h pendant trois ans avec lui sur TF1. Tout ce que je sais faire, je l'ai appris là. Décoincer l'information à la télé...

Peut-être un peu trop... Vous aviez utilisé des marionnettes pour votre premier JT... Ça a failli être à la fois le premier et le dernier...

Oui ! Quand on est sortis du plateau, Christian Bernadac nous a dit « c'est fini ». Je me voyais déjà prendre le train gare d'Austerlitz le soir et rentrer à Châteauroux ! Mais au déjeuner, Mourousi m'a dit « Ne t'inquiète pas, on va les niquer, demain on sera là ». Et effectivement le lendemain on était là... Avec lui, j’ai compris que tout était information, qu’il n’y a pas de hiérarchie, elle est changeante tout le temps. Aujourd’hui l'ouverture, ça peut être un film, ça peut aussi être la Syrie.... Alors qu’avant l'info, c’était tout le temps le même ordre avec d’abord le conseil des ministres... Lui, il a tout cassé... Et ensuite tout le monde a suivi... J'ai eu la chance de travailler dans sa foulée au jour le jour et de voir son indépendance d'esprit et en même temps la nécessité d'avoir un bon relationnel avec les personnalités, pour qu'elles viennent ! Trouver le juste équilibre.

Comment arrive-t-on à occuper l'espace à côté d'un Mourousi ?

C'est lui qui décide ! Il avait un mode de travail très atypique. Et un mode de vie très atypique aussi, sur lequel je ne vais pas m'étendre... Donc il y avait des jours où il arrivait à midi et demi pour 13h... Moi je préparais le journal avec les équipes. Parfois je faisais 20 minutes de journal, d'autres fois deux ! Il y a même des jours où je l'ai remplacé parce qu'il n'était pas là ! A chaque fois, on ne le savait qu'au dernier moment... Donc j'étais toujours prêt ! Je n'ai que des souvenirs extraordinaires de cette période....

Aujourd'hui avez-vous le temps de regarder le JT ?

Je ne regarde plus le JT de 20H puisque je travaille quand il est diffusé !  Les chaines info ont quand même beaucoup entamé le JT. Le JT, c'est pour ceux qui ne regardent pas les chaines infos... Je regarde aussi les chaines étrangères.

Vous vous en inspirez ?

Oui. Quand j'ai commencé en matinale sur Canal, j'étais allé voir comment fonctionnait Good morning America sur ABC. Ce sont des mécaniques, des règles qu’il faut connaître.

Vous n'avez jamais connu d'échec télé... Enfin j’en ai compté un… Une émission ciné : CinéStars sur TF1…

Ah vous avez retrouvé ça ! (rires) Les émissions de cinéma ça ne marche pas à la télé !

Pourquoi ?

Pour une raison très simple : si on veut avoir les acteurs en plateau, c'est sans critique ! Et ça intéresse moyennement le téléspectateur. Donc il faut mélanger avec autre chose, comme ce que je fais au Grand Journal : il y a un instant critique. Mais par exemple, l’émission de Beigbeder, ce n'est qu’avec des critiques. Et sur les grandes chaînes, quand Catherine Deneuve est invitée au 20h, je n'ai jamais entendu le présentateur critiquer !

Vous le fan de ciné, quel est le dernier film que vous êtes allé voir ?

Le dernier Tarantino Django Unchained. Je suis fan de Tarantino, pour moi c'est le plus grand au monde. Donc le film est très très bien.

Pas de critique négative ?

Non.

Vous, vos idoles vous les rencontrez !

Oui, j'ai eu la chance d'interviewer Tarantino une quinzaine de fois ! A Cannes, on est dans le même hôtel donc on se voit parfois à toute heure du jour ou de la nuit. J'ai beaucoup d'admiration pour le talent, quel que soit le métier. Les gens qui ont du talent, il ne faut pas leur demander d'être comme tout le monde ! Même dans le sport, quand un jeune type de 20 ans est un génie et qu'il fait des conneries dans la vie, je m'en fous...

"Les gens qui ont du talent, il ne faut pas leur demander d'être comme tout le monde".... Quand vous dites ça, pensez-vous à votre ami Depardieu ?

On se connait depuis Châteauroux... Un ami, c'est quelqu'un que vous connaissez bien et que vous aimez quand même.

Vous ne le jugez pas !

Si jamais je devais le juger, je ne le dirais qu'à lui !

Canal +, c'est votre deuxième vie...

Ca fait 28 ans que je travaille pour Canal, même si je suis producteur extérieur maintenant. J'y ai occupé tous les postes, y compris de management !

L'idée du Zapping c'est vous !

Les bonnes idées en télé, ce sont les idées les plus simples. Comme les noms d'émissions, il faut que ce soit simple. Foucault n'a connu qu'un échec dans sa vie, c'est une émission qui s'appelait La trappe... Il ne faut pas faire ça !

Vous, c’est simple : vous mettez tout le temps le mot « grand » dans vos titres d'émissions ! Le concept du Grand Journal vous est venu dans la voiture, à hauteur d'Orléans... Pouvez-vous m'expliquer le rapport ?

Je n’ai pas eu l’idée d'un coup, je voyais ce que cherchait Rodolphe Belmer. En fait c'est plus le découpage qui m'est apparu à ce moment-là… Jusqu’à cet instant, ça mijotait dans ma tête.

En êtes-vous fier ?

Ce n'est pas une fierté, c'est une satisfaction professionnelle. Je suis amoureux, passionné par mon métier...

Il vous le rend bien !

Oui, c’est vrai ! Parfois on est amoureux tout seul !

Des idées comme ça, en avez-vous d'autres ?

Oui des idées j'en ai. Beaucoup trop. Je soûle tout le monde avec tous les jours ! Je n’ai pas le temps de tout faire. Le producteur Renaud le van Kim me dit à chaque fois « mais quand, à quelle heure » ?

Comment expliquez-vous que de toutes les personnalités historiques de Canal +, il ne reste plus que vous maintenant ?

Quand j’ai eu l’idée du Grand Journal, j’ai dit à ma femme que j’allais faire l’émission deux ans… En fait tous les ans je dis que c'est la dernière année. Et ça fait rire tout le monde à la maison !

Vous n'arrivez pas à décrocher !

C'est que ça me plaît ! Et ça marche. Je ne vais pas me couper un bras !

Quel est le secret de votre longévité ? De votre éternelle jeunesse ? On a l'impression que vous ne vieillissez pas !

Je suis une vieille carlingue (rires) mais j’en prends soin !

Faites-vous du sport ?

Non, zéro ! De la diététique, oui. J'ai la chance d'avoir une bonne constitution ! Enfin c'est ce qu'on me dit... Je ne suis pas Superman mais je suis assez résistant, je peux ne pas beaucoup dormir. La passion aide.

Plus que des vitamines ?

Oui. Et puis j'ai la chance d'être bien entouré dans la vie aussi !

Pas de sport… Mais le foot, vous n'allez jamais y revenir ?

Pour l'instant il n'y a rien à dire.

Vous n’avez aucun regret ?

J'aime le foot mais je préfère mon métier. J’ai eu la chance d'être bien entouré ; d’ailleurs j'ai gardé contact avec certains joueurs et entraineurs. Je ne me rendais pas du tout compte quand j’étais au PSG de l'impact que ça avait. Ça fait 14 ans que j'ai arrêté, mais on m'en parle tous les jours. Si je sors avec vous dans la rue, on va m'arrêter en me disant « il faut y retourner ». C'est toujours très positif. Je ne savais pas que ça touchait à ce point les gens. C'est une grosse machine avec des excès de tous les côtés, dans la presse... En fait, c'est plus agréable quand c'est fini que pendant !

Cette fois-ci, vous étiez de l'autre côté du miroir !

Oui, j'étais très médiatisé. Ce qui a fait que je m'en suis sorti correctement, c'est que je n'ai pas fait ça pour être connu, je l’étais déjà.

Ni pour l'argent.

Non je n'ai pas gagné un rond ! Je n'ai pas bien négocié !

Diriger une équipe de foot, est-ce que ça vous a aidé pour diriger une équipe à la télé ?

Oui, c'est diriger des gens qui ont de l'égo. C'est faire du collectif avec des talents individuels. Trouver la bonne place pour chaque personne. C'est ce que je fais tous les soirs. L'émission est extrêmement chargée. Quand on fait la réunion le matin, je me dis à chaque fois que ça ne va pas tenir. Et le soir, il faut faire en sorte que ça tienne. Je fais le montage en direct !

Dans la vraie vie êtes-vous comme ça aussi ? À essayer de tout maitriser ?

Non. Regardez autour de vous, c'est le bordel ! Je ne défais jamais mes cartons !

Par superstition ?

Non, pas du tout. Je pense toujours que je suis de passage. Et là ça fait six mois que je suis là ! Ce sera comme ça jusqu'au bout.

Votre nouveau défi c'est Vanity Fair... Vous allez diriger la rédaction tout en gardant le Grand Journal... Vous disiez dans une interview : « Je ne mange pas les yaourts au-delà de la date de péremption, quand je suis attiré par quelque chose d'autre, ça veut dire que je ne m'intéresse plus à mon travail »... Mais là vous allez manger deux yaourts en même temps !

Oui, tout à fait. Mais c'est très particulier. C'est un mensuel. J'arrive à faire les deux en même temps sans problème. Je ne suis pas une exception. Tous les patrons de magazines font de la télé. C'est du journalisme tel que je l'aime. Beaucoup de gens n'ont pas une idée très précise de ce qu'est Vanity Fair. Ils croient que c'est Vogue alors que c'est surtout un journal d'investigation. On raconte des histoires liées à l'actualité et on ne porte pas de jugement. Et ça c'est tout ce que j'aime dans le journalisme. Sa noblesse. Quand un journaliste a un mois pour écrire son article, il a vraiment un mois.

Ça n'existe plus ça ! Le journalisme d'investigation, il faut avoir les moyens de le faire !

Et nous, on les a ! C'est la vraie différence ! Ce sont des histoires qui font ouvrir de grands yeux. Et à la fin, on ne vous dit pas ce que vous devez penser. Et ça c'est beau.

Vous inspirez-vous de Vanity Fair pour Le Grand Journal ?

Au début oui ! C'est une façon de voir l'actualité. J'ai reçu Richard Gere il n'y a pas longtemps pour le film Arbitrage. Je lui ai demandé comment lui, le bouddhiste, il pouvait interpréter un escroc de Wall Street. Et il m'a répondu, sans savoir ce que je fais : « Je lis Vanity Fair ». Ca a été coupé au montage, parce que mes équipes sont des voyous – je plaisante. C'est exactement ça Vanity Fair : on apprend des choses.

Eprouvez-vous de l'excitation ?

Une grosse responsabilité. C'est la première fois que j'ai quelque chose que je ne suis pas allé chercher ! J'ai beaucoup de candidatures surprenantes de confrères qui ont déjà de quoi être satisfaits dans leurs vies et qui veulent faire partie de l'aventure.

Quand sortira le premier numéro ?

Au milieu de l'année.

Il n'y a pas un risque, en ayant autant de casquettes, d'avoir la grosse tête ?

Non ! Je suis tellement bien entouré, par ma femme, mes filles... Elles ne me tapent pas sur la tête mais elles me taquinent ! Je pense que j'ai passé le cap maintenant ! Je ne suis pas dupe sur mes relations avec les gens. Je sais bien que si j'arrête, je peux éliminer 80% de mes numéros de téléphone.

Allez-vous donner une place importante à la mode dans Vanity Fair ?

20%

Justement, je me demandais : quel est votre premier geste beauté du matin ?

Je me brosse les dents !

Votre style vestimentaire, comment le définir ?

Preppy vintage !

Vous êtes un fan de cravates !

(il soupire) Je ne suis fan de rien ! Ce qu'il faut, c'est ne pas être conscient de porter quelque chose !

Pourtant on est bien obligé de choisir le matin !

Oui mais quand on a enfilé quelque chose, il ne faut pas le sentir.

Comme une seconde peau ?

Oui on peut dire ça comme ça, moi, il m'en faudrait plusieurs ! Il ne faut pas se sentir déguisé.

Votre plus grande fantaisie ?

Un manteau orange.

Pourquoi ?

Parce qu'il est orange ! Je le porte encore de temps en temps ! C'est un manteau anglais assez près du corps. Je l'aime bien !

Qu'est-ce qu'on ne vous verra jamais porter ?

Des chapeaux. Je ne me sens pas très bien avec un chapeau.
.
J'ai lu que vous vous faisiez souvent une idée des gens en regardant leurs chaussures...

Je n'ai pas regardé les vôtres !

Si je levais la jambe, là pour vous les montrer, vous feriez-vous une idée plus précise de moi ?

Je n'ai pas eu besoin de ça ! Mais parfois, quand j’ai un doute, je regarde ! Même si je ne m'en fais pas une idée fixe.

Quelles chaussures portez-vous aujourd'hui ?

Des Weston noires. C'est souvent le cas.

Pour vous, qu'est-ce que la classe au féminin ?

L'élégance féminine, ce n'est pas une question de vêtements ! Le vêtement est une ponctuation de l'élégance.

Votre côté impassible, vous le travaillez ?

C'est un exercice. Au bureau, je ne suis pas impassible. Demandez-leur !

Vous êtes un grand blagueur en fait. Un adepte de canulars téléphoniques !

C'était il y a longtemps ! C'est fini ça ! J'échange pas mal de blagues avec Doria de la météo tous les matins. Mais ça ne rentre pas dans cette boîte-là. (il montre le dictaphone)

Doria Tillier, la nouvelle miss météo. Vous sentez qu'il y a des personnes qui iront loin dans votre équipe ?

Doria, c'était une évidence, elle est arrivée par Christelle Graillot qui détecte les talents. Augustin Trapenard aussi est très très bon : il parle d'un bouquin en 45 secondes et on a l'impression de l'avoir lu. C'est sa passion. A la télé, quand on est bidon on ne dure pas longtemps ! Il n’y a pas de mystère, il faut travailler. Doria arrive tôt le matin, elle passe toute la journée à préparer sa chronique. Et toutes, elles ont fait ça. Travailler 10 heures pour faire 2 minutes. C'était pareil avec Delarue, Fogiel, Dechavanne…

Le secret, c’est ça : travailler, travailler, travailler…

Oui, le talent, c'est 5% et le travail, c'est 95%.

On peut s'en sortir en étant nul alors !

On a tous un petit peu de talent !

Vous qui avez fait des millions d'interviews, est-ce qu'il y en a auxquelles vous repensez parfois ?

Oui, par exemple, l'interview de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. Je n’avais jamais interviewé de président avant. C'est un rituel journalistique qu'on a tous envie de faire une fois. Normalement, ce n’est pas un match, mais lui cherchait la confrontation. Il voulait gagner. Je me suis repassé l'interview 25 fois dans ma tête.

Par frustration ?

Non. C'était une chance, j’étais content de le faire. Mais après, on se dit toujours : « j'aurais dû faire ça ».

On refait le match !

Oui, je l'ai beaucoup refait celui-là !

L’exercice serait différent avec le président actuel ?

C'est un escrimeur, un fleurettiste. Il a beaucoup d'humour même s'il se freine beaucoup, il est toujours tenté de faire une pirouette.

Vous dites n'avoir aucune étiquette politique…

Je suis d'une indépendance maladive !

Vous avez quand même voté Arlette Laguiller une fois !

C'était sentimental, pour un oncle de mon village natal qui votait communiste, très solitaire et proche de la nature, que j'aimais beaucoup et qui m'aimait bien. Il est mort peu de temps avant une présidentielle ; je votais dans son village, donc au premier tour j'ai voté comme s'il était là…

Quand vous regardez dans le rétroviseur, quel Michel Denisot préférez-vous ?

Celui de maintenant ! J'aimerais bien que ça se fige. Ça ne me déplairait pas que ça dure.

C'est rare de se dire ça, non ?

Peut-être.