Stéphane Million

D’abord, il vous fera penser à un pirate. Puis en vous rapprochant, vous verrez la lueur d’éternel enfant dans ses yeux et vous vous direz que c’est bien plus compliqué. Comme si Peter Pan et le Capitaine Crochet avait eu un fils. Caché.

- Je suis devenu éditeur malgré moi. Par hasard.

Il avait décidé d’être professeur d’Histoire (pour ne pas aller à l’armée). Quand le Net n’était encore que la curiosité de quelques uns, un ami lui a offert le logiciel Dreamweaver, lui permettant ainsi de créer son propre site internet. Un site internet, la belle affaire ! Mais « comme un pull qu’on porte uniquement pour faire plaisir à l’ami qui nous l’a offert », Stéphane a créé son site. Et il y a planté ses mots. Pion, il décrivait ses journées au lycée. Puis son site a commencé à être lu, les lecteurs à lui écrire. Quel type de lecteurs ? Un sourire lui ourle les lèvres quand il se rappelle d’un mail sublime le félicitant pour son site. Alors il avait demandé au lecteur par quel chemin il avait trouvé ses lignes. L’homme avait hésité, gêné puis confessé que c’était en tapant « grosses loches » dans son moteur de recherche… Sans forcément emprunter le chemin des « grosses loches », de jeunes auteurs déjà publiés l’ont contacté. Petit à petit, il est devenu l’ami des écrivains.
Dans le même temps un livre a tout remué en lui : « L’Apologie de la Viande » en 1999 de Régis Clinquart. Et pour la première fois, il a eu envie de lire des « auteurs vivants ». Il se rappelle de leur rencontre, lors de l’emménagement de Clinquart où il avait dû mettre la main à l’enduis. « Il doit toujours avoir mes pots d’enduis chez lui d’ailleurs ».

Ce blog qui lui permettait de combler un vide, il l’a subitement arrêté en 2003. Parce qu’il l’avait commencé en écrivant « pénard » et que le phénomène a fini par le dépasser. Viré de son lycée pour avoir tenu des phrases injurieuses sur un des CPE, il a ensuite pu laisser s’écrire le nouveau chapitre de sa vie. A Flammarion, grâce aux amitiés tissées avec son blog. Un enchaînement de circonstances.

Grâce au vivier créé par sa revue Bordel uniquement sur le web, il proposait des auteurs à Flammarion. C’est ainsi que Christophe Rioux après avoir écrit une nouvelle dans Bordel, a « agrandi le format » dans un roman pour Flammarion (Des croix sur les murs).
« J’étais un peu le mec qui partageait une jolie fille avec un copain ». La jolie fille, c’était Flammarion. Tous les auteurs que je détectais ont eu une histoire avec Flammarion… Stéphane Million, un proxénète ? « Non, parce que je le faisais gratuitement. Pour le plaisir ».

Ce qui nous amène directement au nom de la revue : Bordel. Pourquoi un nom si racoleur ? « J’hésitais entre Bordel et Grabuge ». Grabuge à cause du projet de revue d’Aragon et Drieu qui n’a jamais vu le jour. Mais Grabuge ne sonnait pas si bien, alors j’ai opté pour Bordel parce que le projet d’Aragon avait été imaginé dans un bordel. Le titre a plu à mon ami Beigbeder. « Bordel », c’est tout l’univers des prostituées et proxénètes mais c’est aussi le « foutoir » qui n’est pas forcément du désordre.

Puis les choses ont changé. Beigbeder quittant Flammarion, Million était de moins en moins écouté lorsqu’il présentait de jeunes auteurs comme Barbara Israël ou Matthieu Jung. « Je retrouvais les manuscrits entre les mains de stagiaires. » Blessé par ce manque d’écoute, il est devenu Directeur de Collection chez Scali. Là-bas, il peut publier tous ses auteurs coups de cœur sans aucune embûche. Puis l’euphorie du début devient une douloureuse gueule de bois lorsqu’il réalise qu’il ne s’agit pas d’une liberté de confiance mais de la politique de l’éditeur : publier beaucoup - donc n’importe quoi - dans le seul but d’obtenir des avances du distributeur. Finalement, Stéphane Million envoyait directement les livres de ses auteurs fétiches "à l’abattoir". Car avec seulement un attaché de presse pour une pléthore de livres, le livre se retrouvait vite livré à lui-même.

Nouveau rebondissement de situation : la grand-mère de notre directeur de collection désabusé a vendu une vieille forge. Avec cet argent, Stéphane a pris un risque : celui de devenir éditeur indépendant.

D’abord, il a perdu de l’argent en éditant douze livres la première année. Mais c’est le passage obligé : celui de commencer.

L’ironie du sort, c’est de voir les auteurs refusés par Flammarion, et ensuite publiés par Stéphane Million Editeur, maintenant édités chez Flammarion. Comme Barbara Israël (éditée par Guillaume Robert). La preuve qu’il avait raison.

Est-ce une souffrance de voir les auteurs s’émanciper de sa maison d’édition ? Non, pas du tout. « Je suis l’incubateur ». « Je n’ai pas les moyens de les faire rester ». Stéphane Million n’a pas tout le « decorum » des grandes maisons d’édition pour les faire rester (un service marketting, un attaché de presse). Car même si son service de presse (grâce à son travail de relations publiques) peut rivaliser avec les grandes maisons, le problème reste la distribution.

Alors quand un auteur part, il est content pour lui. Parce que ce sont ses amis. Les violents coups de cœur qu’un jour il a eus. Face aux grandes surfaces de l’édition, il est le « petit charcutier de la rue Lepic », sûr de la qualité de ses produits qu’il sait où aller chercher.

Mais comment définir le coup de cœur ?
« C’est quand on entend la voix de l’auteur. »
C'est au-delà du style, c'est au-delà de l'histoire. Comme quand on tombe sous le charme d'une fille. Ses mensurations nous plaisent mais ce ne sont pas uniquement ses mensurations qui nous chavirent. On peut rencontrer l'instant d'après une fille aux mêmes mensurations, ça ne nous fera pas le même effet. C'est au-delà des mensurations. C'est presque mystérieux. C'est un petit truc en plus qu'il est impossible de décrire ou de définir.

Cela va faire un an que Bordel existe en format papier et la petite entreprise Million tient bien sa barque à contre-courant des grandes. « Il y a en ce moment une surproduction des livres, qui continue en format-poche, et qui se double d’une sous-qualité ». Cela permet aux grands noms de l’édition de réaliser des économies d’échelle et de rentabiliser les pertes en faisant du poche. Au détriment des petits éditeurs. Mais Stéphane Million n’est pas un petit éditeur comme les autres. Grâce à ses réseaux d’auteurs, il a accès à des personnes plus influentes. Mais rares sont les personnes haut placées qui tendent la main vers plus petit qu’eux. Avec mes relations, "j’ai seulement gagné le privilège du non » s’amuse-t-il.

A noter : 42 ans plus tard, la charcuterie rue Lepic est toujours là...


Boutique en ligne :

http://stephanemillionediteur.fr/

Prochaine parution de la revue Bordel (numéro 11) : le 8 octobre 2009. (http://revuebordel.blogspot.com/)
Prochain roman publié par Stéphane Million Editeur : En moins bien d’Arnaud Le Guilcher : le 8 octobre 2009.