Fanny Salmeron


Crédit photo : Maëlle Henaff

"Cette fille, c'est un Noël qui n'arrive jamais"

Elle a la frange lisse et le regard bleu des poupées. Fanny Salmeron est l'auteur du roman Si peu d'endroits confortables paru chez Stéphane Million Editeur.

Voilà ce que vous pouvez lire sur la quatrième de couverture :
Il y a Hannah, qui erre dans Paris en écrivant à la fille qu’elle aime et qui est partie (mystérieusement dénommée *, ndlr).
Il y a Joss, garçon étrange aux cheveux bleus, débarqué dans cette ville inconnue pour oublier son passé.

Et puis un jour ils se rencontrent.

« Je ne sais pas si deux solitudes s’annulent, je ne sais pas si elles se consolent. Je ne sais pas si au contraire elles ne forment pas un vide encore plus grand.»
Rendez-vous en fin de journée sur une terrasse carrefour de l'Odéon le jour de la sortie du livre, le 3 juin. Deux Carlsberg. Quelques cacahuètes. Un accordéoniste.

On en apprend plus sur le livre en regardant la couverture ou en lisant la 4ème de couverture?

La 4ème de couverture c'est moi qui l'ai écrite donc je la trouve super chouette! Mais la couverture est formidable, je voudrais en faire des posters. Erwan Denis a été un génie. Quand on ne connaît pas l'histoire, on trouve la couverture jolie... on se dit "tiens pourquoi une balançoire, pourquoi un pissenlit"? Et une fois qu'on a lu le livre, chaque élément de la couverture prend une signification.

En fait, le personnage principal du livre, c'est la mystérieuse *... Elle est présente dans le livre par les lettres que Hannah lui écrit. Et finalement, elle résonne dans chaque page. Pourquoi l'appeler "*"? C'est presque religieux, comme si prononcer son prénom ce serait la blasphémer...

Lui mettre un prénom ce serait réducteur. Comme ça, le lecteur peut mettre le prénom qu'il veut à la place d'*...

On a aussi l'impression que prononcer le prénom d'*, ou l'écrire, ce serait la profaner.

Oui, elle a les yeux dorés, elle a un côté pas humain, elle est complètement sublimée par les yeux d'Hannah. C'est l'amour qui est comme ça, on n'aime jamais la personne telle qu'elle est mais toujours à travers ses propres yeux... donc l'être aimé devient quelqu'un d'irréel.


Vous alternez deux sexualités de l'écriture. Dans le livre on passe d'Hannah à Joss, le peintre aux cheveux bleus... Comment ça se travaille, vous avez une part masculine en vous?

Je pense qu'il y a surtout une part féminine dans Joss! Je ne voulais pas que les deux personnages soient trop proches l'un de l'autre, parce qu'ils n'ont pas la même histoire même s'ils ont la même souffrance. Que ce soient une fille et un garçon, ce n'est pas le plus important. Ca aurait pu être deux filles, ça aurait pu être deux garçons aussi.


Justement, vous arrivez à complètement désexualiser l'amour. Et en refermant le livre, on pourrait presque tomber amoureux d'un papillon...

Vous ne croyez pas si bien dire! Ca m'est arrivé de tomber amoureuse d'un papillon... J'avais huit ans, je faisais du vélo dans mon village en Ariège.

Qui s'appelle comment?

Je ne le dis pas, ça! "Petit village dans les collines"! Donc, au bord du chemin je vois un petit papillon renversé par une voiture. Un papillon mort. Il était très beau, orange et noir. J'ai voulu le ramener même s'il était mort, comme on ramasse un coquillage. Et en le ramenant j'ai constaté qu'en fait il était encore en vie! Mais qu'il était aveugle!

Comment on se rend compte qu'un papillon est aveugle?

Ca se sait quand un papillon est aveugle, enfin! Donc j'ai gardé Domino dans un coin du jardin, je lui ai donné pendant trois jours à boire de l'eau sucrée qu'il buvait avec sa petite trompe de papillon, il était très mignon. Un jour j'ai senti qu'il avait plus de force donc je l'ai mis sur une fleur, il a commencé à se nourrir directement sur la fleur et quelques secondes après il s'est envolé. Et là j'ai eu mon petit cœur complètement brisé.

Donc votre première histoire d'amour s'est finie tristement.

Ce n'était pas ma première, ça devait déjà être la 25ème! C'était une histoire d'amour impossible, ça vit très peu un papillon, si ça se trouve il s'est envolé et il est mort.

Hannah et Joss ce sont deux solitudes qui se frôlent tout le temps... Est-ce que deux solitudes peuvent s'aimer? A un moment Hannah écrit à son * qu'elle a besoin de quelque chose de plus doux, "juste les jolies lumières de l'amour élémentaire". Est-ce que l'amour réduit aux jolies lumières de l'amour élémentaire, c'est encore l'amour?

Pour moi non, pour Hannah non plus je pense. Évidemment, quand on est dans une histoire compliquée on veut quelque chose de simple - comme quand on a les yeux bleus et qu'on veut les yeux noirs. Ce n'est pas vraiment de l'amour, une histoire simple. Mais c'est ma vision de l'amour et chacun a la sienne. Moi, j'ai une vision pessimiste de l'amour.


Le récit est très ancré dans Paris. Joss découvre la ville et il dit "Paris est minuscule et sa moquette est trouée". Hannah connaît la ville, elle l'aime mais sans son *, elle trouve que la ville ressemble à un marécage... Paris, c'est l'endroit idéal pour désespérer?

Paris ça peut être sublime et désespérant. C'est minuscule et immense à la fois. Quand on est triste on peut aller déambuler des heures dans Paris et si en plus il pleut c'est génial. Par exemple, cet homme qui joue de l'accordéon sur la place, quand on est heureux, on peut trouver ça joyeux, typique. Et quand on est triste, ça donne juste envie de pleurer. En ce moment je suis super sensible. Tout à l'heure il y avait une affiche d'un chien perdu, j'ai failli pleurer. Paris, ça peut être super triste.

Paris, en fait, c'est le réceptacle parfait des sentiments, même une sorte d' amplificateur...

Exactement.

Le manque est très présent dans le livre... Il y a cette phrase sublime "Oui, tu me manques comme quand le soleil se cache derrière les immeubles, parce qu'après tout, il continue de faire jour". Plus loin Hannah dit qu'il y a plusieurs solutions au manque mais pas de remède à l'absence... Joss, c'est sa solution au manque? C'est peut-être Joss finalement l'endroit confortable...

Oui, il est naïf, plein d'amour...

Pour le lecteur : Un bus se gare et nous cache le soleil.

Ah ben voilà, c'est ça le manque, un bus nous cache le soleil et il continue de faire jour!

Ca ne pouvait pas mieux tomber dans l'interview! Je vous assure que je n'y suis pour rien!

Joss pense qu'il peut être une solution au manque. C'est obsessionnel le manque d'* pour Hannah. Le manque d'* c'est encore elle. Avec Joss, il continue de faire jour. Il est parfait ce garçon. Il la comprend, il a le même vide.


Vous venez de dire que le manque d'*, c'est encore elle. Cette façon qu'Hannah a de se draper dans le manque d'*, c'est faire survivre cet amour déjà mort sous respiration artificielle...

Oui, lui écrire c'est la faire exister. Elle essaie de faire son deuil par le refus du deuil. C'est le premier palier du deuil.


Hannah écrit à * qu'elle ne lui a pas appris le silence... Elle ne sait pas se taire...

Non parce que se taire c'est accepter le silence des deux côtés. Elle s'imagine qu'* pense à elle aussi.


Finalement est-ce qu'elle n'éprouve pas du plaisir dans ce manque?

Je pense que c'est beaucoup moins douloureux que de prendre la décision de passer à autre chose. C'est un palliatif. Comme quand on arrête une drogue et qu'on en prend une autre pour essayer d'arrêter. Je ne prends pas de drogue!


A un moment Joss et Hannah retournent dans l'ancien appartement d'* et d'Hannah, vous écrivez "Le temps s'est arrêté dans cet endroit. Ca ressemblait à un 24 décembre scellé dans l'éternité". Le cœur d'Hannah aussi, c'est un 24 décembre scellé dans l'éternité?

C'est joli, ça! Le 24 décembre, c'est l'excitation, l'attente, le désir du lendemain. Et ici, *, cette fille, c'est un Noël qui n'arrive jamais.


Il y a une technique dans le livre pour surmonter la peur des araignées. Joss dit à Hannah "Quand on a peur de quelque chose il faut l'imaginer avec une casquette. Une araignée dans la chambre, je lui mets une casquette et je la trouve sympa". Je l'ai confiée à ma mère, ça marche! La dernière fois que vous avez mis une casquette sur quelque chose, c'était sur quoi?

Moi, je ne le fais pas ça en fait! J'ai peur des requins. Un requin avec une casquette, c'est juste super effrayant! C'est encore plus effrayant en fait!


Revenons-en à *. Elle est quand même très cruelle. Elle quitte Hannah du jour au lendemain avec un Anglais qui sent le lendemain idéal... Je ne sais pas si on espère qu'elle revienne mais au moins, on s'attache à elle... L'amour c'est le syndrome de Stockholm avec vous!

Oui, c'est aussi la stratégie de l'échec. Je pense qu'* est partie parce que ça devait être insupportable de vivre avec Hannah. Être avec quelqu'un qui t'aime absolument, ça peut être terrible. Je ne sais plus qui a dit "Aimer quelqu'un qui vous aime aussi c'est du narcissisme, aimer quelqu'un qui ne vous aime pas ça c'est de l'amour".


C'est Frédéric Beigbeder!

Zut, alors!


Hannah écrit "Si peu d'endroits confortables" partout dans Paris. Et puis finalement tout le monde s'en empare. Hannah a alors peur que son désespoir devienne celui de tout le monde... Vous avez la même peur avec ce livre?

Non.

Moi, j'ai pleuré!

Oui, plusieurs personnes m'ont dit ça. Déjà je trouve ça fou. Je ne veux pas que les gens pleurent!

J'ai vu qu'un buzz se créait sur internet autour de cette phrase... Elle ne vous appartient déjà plus!

Oui, ça a été lancé sur Facebook. Plusieurs personnes se sont pris au jeu, il y a des situations drôles. Cette phrase touche les gens de différentes façons, tout le monde peut y mettre ce qu'il veut. C'est ouvert comme phrase.


Parmi ces photos, une qui vous vient à l'esprit?

Celle où il y a un pigeon mort et aussi celle du bébé qui tète sa mère avec écrit "si peu d'endroits confortables" sur le sein. Ce sont un peu les deux extrêmes!

Quand j'ai refermé le livre, il m'a laissé l'arrière-goût de la pluie. La pluie est très présente. Il y a cette phrase "J'essaie de me souvenir de ton visage, et c'est la couleur de la pluie qui me vient"...

Il pleut tout le temps dans ce livre! Il n'y a pas d'espoir dans le ciel de Paris, enfin dans cette histoire.


Je suis tombée sur une strophe d'Aragon qui m'a fait penser à votre livre : 
"Ce qui s'est envolé là comme un oiseau bleu
A laissé dans mon cœur une sorte d'abime
Je ne suis qu'une rime qui cherche une rime
Comme une main qui s'ouvre en vain à la pluie"
Joss, c'est la main qui s'ouvre en vain à la pluie?

Oui. Hannah aussi. Tous les deux ce sont des mains qui attendent la pluie et qui là du coup ne vient pas. Joss attend la pluie qui serait l'amour d'Hannah, le pardon,... il cherche beaucoup de choses, Joss. Et Hannah tend la main vers * qui n'est plus là. Elle est belle cette strophe!


Hannah a un remède contre la pluie, elle dit que quand il pleut il faut boire quelque chose avec des glaçons; elle dit que c'est scientifique, les gens ont bien des glaçons dans leur verre au bord des piscines.

C'est vrai que ça marche, les gens ont des glaçons dans leurs verres! Là-bas je vois un Ricard avec des glaçons. On ne va pas citer le nom de ce Monsieur qui boit du Ricard à trois heures de l'après-midi!


C'est ça le livre, des passages sublimes, des phrases qui font pleurer et qui sont entrecoupés de ce genre de fantaisie... Cette poésie de l'enfance...

Je trouve que l'enfance ce n'est pas du tout poétique, c'est très cruel. C'est de la frustration et de la colère. Hannah ce qui la sauve c'est cette part d'enfance. Chez elle c'est léger et c'est ce qui la sauve de tout. Ces petites folies qui l'empêchent de sombrer dans la vraie folie.


Vous faites des lectures de vos nouvelles, bientôt de votre livre le 12 juin (chez Gals Rocks, ndlr). Vous prenez goût à donner une troisième dimension à votre livre?

La première fois que mon éditeur Stéphane Million m'a demandé de lire, je voulais dire non, je me suis demandé pourquoi, c'était parce que j'avais peur. Ce n'était pas une bonne raison. Donc j'ai lu. Quand on écrit on ne sait pas comment les gens réagissent quand ils lisent. Pendant la lecture, je ne vois pas les gens parce que je lis mon texte mais il y a toujours un silence qui se fait, et alors les petits bruits dans la salle ça fait comme des bruissements de feuilles comme dans une forêt ; les gens sont réactifs. Et après certaines personnes viennent te parler juste après. C'est dans l'immédiat. C'est ça qui est addictif, le retour direct des gens. Je ne suis pas une rockstar de la lecture mais il y a toujours une atmosphère qui se crée.


Vous avez déjà écrit plusieurs nouvelles, vous envisagez un recueil de nouvelles?

Pourquoi pas, j'aime bien les nouvelles. Ecrire une nouvelle c'est comme peindre un petit tableau ou faire un puzzle pour enfants avec dix pièces. Alors que pour un roman, il y en a 500 000!


Dans le Figaro, Mohammed Aissaoui évoque une "écriture fiévreuse". C'est vrai qu'il n'y a pas de temps mort. Vous travaillez cette épure de votre écriture? Le livre pourrait faire beaucoup plus de pages qu'il n'en fait.

Quand j'ai envie de dire quelque chose je le dis directement, je n'arrive pas à diluer. C'est d'avoir écrit un blog pendant très longtemps, sur des instants, des images, je pense que j'ai gardé un peu ce phrasé de blog. Un peu comme une photo. C'est pour ça que la nouvelle me va bien, dans une nouvelle, chaque phrase est écrite pour quelque chose.

Vous travaillez sur un prochain roman?

Oui. J'essaie de prendre plus mon temps dans ce roman, il y aura plus de personnages, il n'y aura pas de "je".


Ce sera sur quoi?

Sans doute une histoire d'amour tragique. C'est forcément une histoire d'amour si c'est une histoire. Et c'est forcément tragique si c'est une histoire d'amour. Donc c'est une histoire d'amour tragique.

Le serveur casse un verre.

C'était beau! J'adore ça, le bruit du verre brisé! D'ailleurs chez moi je n'ai plus de verres, je les ai tous cassés. Du coup, je bois à la bouteille.


Tribune libre : vous pouvez parler de ce que vous voulez.

On pourrait parler de ma sciatique. Ou de lui, regardez, avec son beau costume, il est beaucoup trop classe pour elle. Elle, on dirait qu'elle s'est habillée pour aller au camping. Enfin, le restaurant du camping.

Je pourrais parler du Carrefour de l'Odéon qui pour moi est un endroit très confortable. Alors qu'en fait c'est très désagréable, ça sent mauvais, il y a le bruit des voitures, les gens parlent fort, tu es servie quand les serveurs te voient donc jamais, et il y a cet arbre que j'adore et dont je ne sais toujours pas le nom. Il y a la boutique de robes, ma boutique préférée au monde. Tous les gens que j'aime passent ici à un moment de leur journée.


C'est minuscule et c'est immense en même temps!

Oui! C'est un endroit où je me sens très en sécurité alors que franchement, c'est très dangereux. Une fois j'ai failli me faire écraser ici!



Le site du roman : http://www.ilyasipeudendroitsconfortables.com/



1 commentaire:

  1. Une très belle interview, pour un très beau livre. Bravo les filles, pour la poésie et la profondeur légère !
    Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, courez vite acheter Si peu d'endroits confortables. Et vous verrez la vie autrement...
    Olivia

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