1H15 avec Radu Mihaileanu


« Je me sens comme un imposteur »

Nommé six fois aux César notamment dans la catégorie du meilleur film et du meilleur réalisateur, « le Concert » de Radu Mihaileanu fait partie des favoris de la compétition. Chaleureusement accueilli par la critique, le périple de ce faux orchestre du Bolchoï venant se produire à Paris, a connu un immense succès en salles, suscitant de nombreuses ovations. La scène finale de cette histoire slave a lieu au théâtre du Châtelet, l'endroit où se déroulera la cérémonie des César le 27 février prochain et peut-être aussi le point d'orgue de l'aventure du film.

Tous vos films parlent d'une petite histoire dans la grande Histoire, souvent au moment d'une dictature, et vous tirez la lourdeur de la situation vers une légèreté poétique. Est-ce votre fil rouge ?

Radu Mihaileanu : Il y a toujours outre le rapport entre la petite histoire et la grande histoire, un événement tragique. J'aime bien mettre les personnages dans une situation extrême pour voir comment ils réagissent. C'est dans ces moments-là que l'humanité se révèle. Je viens de l'Est où la littérature, Dostoievski, Tolstoi..., prend toujours pour base un moment dramatique afin de tester « la petite fourmi » qui est l'humain dans ces situations-là. Ensuite j'essaie de tirer l'histoire vers un peu plus de légèreté même si le drame reste toujours en toile de fond. Parce que la tragédie de la mort imprègne nos vies.

Peut-on prévoir le succès d'un film ?

Non, je suis cinéaste pas Dalaï Lama. Mais de ce qui est ressorti des journaux, d'internet, le film a semble-t-il redonné confiance aux gens en la dignité humaine. C'est l'histoire d'une bande d'humiliés qui réussit à se remettre debout. A un moment où les gens pensent que la nature humaine a tout raté, le film arrive et dit qu'il faut prendre le taureau par les cornes et que nous avons en nous la musique nécessaire pour rendre le monde plus beau. C'est au cinéaste qu'il appartient d'être en dialogue avec son époque.

On a l'impression que le film n'est pas seulement une aventure à l'écran, mais que ça en a été une aussi de le réaliser...

Il y a une aventure dans l'écriture, dans le choix juste des comédiens, dans la prise de décision, comme celle de filmer seulement l'indispensable à Moscou, de reproduire Moscou en Roumanie et de s'acharner pour obtenir de tourner sur la Place Rouge, ce qui équivaut à bloquer les Champs Elysées durant une journée! Mais j'étais obligé d'y croire, c'est le message du film, il faut croire en ses rêves fous et ne pas douter une seconde sinon on n'y arrive pas. Chaque film est en soi un miracle, dans ce qu'on réussit à arracher à l'absolu pour le rendre visible, réel.

Le choc des cultures transcendé par la musique omniprésente dans le film en fait une fable universelle. Vous êtes un universaliste ?

Dans tous mes films je m'inspire d'une histoire spécifique en ayant la volonté d'en faire une histoire universelle, décodifiable aux quatre coins du monde. Il n'y a pas mieux que la musique classique comme vecteur universel. On me dit universaliste, humaniste, ce que je sais c'est que j'aime le monde entier. Après, je suis égoïste, en faisant un film, c'est moi qui voyage! Je suis un anthropologue amateur assoiffé des êtres humains du monde. Je ne fais pas partie des réalisateurs cinéphiles, je ne puise pas mon inspiration dans les autres films mais dans la vie des autres. J'ai besoin de me cogner à la vie.

Et pourquoi le choix de Tchaikovski pour incarner cette musique ?

J'avais besoin d'une musique russe pour incarner l'âme slave et cette réaction des extrêmes entre d'une part cette troupe russe désorganisée, parfois ridicule et d'autre part la culture française, beaucoup plus pudique, cartésienne. Il me fallait deux éléments : le crescendo de l'orchestre représentant toute l'énergie vitale de ces Russes qui reprennent vie à la fin du film et la pureté du violon pour incarner la nostalgie. Une harmonie entre le chaud et le froid, comme dans tout le film. En cherchant la musique appropriée, je suis tombé sur le concerto pour violon de Tchaikovski et je me suis mis à pleurer, j'avais l'impression que tout correspondait à l'intensité dramatique que j'avais écrite.

Le protagoniste désire dès le début du film le théâtre du Châtelet, est-ce votre but à vous aussi : un César ?

J'y ai forcément pensé au moment du tournage, en passant devant le pupitre du théâtre. Mais on ne fait pas un film pour le César. Je serais ravi de l'avoir ; je me sens comme un imposteur, je suis parti de Roumanie il y a trente ans, tout ce que je vis est du bonus. Être assis sur un des sièges de ce théâtre que nous connaissons désormais par cœur, entendre six fois le film nommé dans ses catégories, c'est déjà grand en soi et émouvant.

Vous avez eu le César du meilleur scénario original en 2006 pour « Va, vis et deviens », qu'est-ce que ça a changé pour vous ?

Ca n'aide pas à créer plus facilement. Ce qui change c'est la notoriété donc une plus grande facilité à refaire un film. Mais la vraie crainte pour moi, c'est la feuille blanche et le César n'y peut rien. Il faut plus penser à l'œuvre qu'au temple dans lequel elle va nous faire entrer. Les prix sont importants pour un premier film, ils peuvent lancer une carrière. Ni Audiard ni Lioret ni moi n'en avons besoin. Mais ça fait plaisir, ça flatte l'ego, par orgueil, nous voulons tous être en dialogue avec l'histoire du cinéma!

De quoi traitera votre prochain film ?

Ce sera un nouveau voyage, en arabe, sur le droit des femmes. C'est un fait divers qui m'a inspiré, en 2001, les femmes turques ont fait la grève de l'amour pour que les hommes amènent l'eau au village. Ca parlera de l'amour entre hommes et femmes, de l'amour en général.

Promenade de Santé de Nicolas Bedos


Sur un banc, elle, vêtue d'une tunique vaporeuse, le port de tête d'une danseuse, les doigts qui tapotent nerveusement son menton. Sur une chaise, lui, la barbe d'une semaine, sauvage, avachi. Le décor est simple : un mur blanc, celui de la clinique de fous dans laquelle ils sont internés et un arbre sans branche à laquelle se pendre. Entre eux coule une rivière de névroses. Elle est nymphomane, schizophrène ; il est érotomane bipolaire. Ces troubles les rapprochent et les éloignent : céder l'un à l'autre ce serait nourrir leurs folies respectives. Mais « on ne peut pas guérir de soi »comme elle le dit du bout du dangereux ciselage de ses lèvres. Elle le désire, il la désire ; pour leur bien, il la repousse. Le jeu du chat et de la souris, le jeu de l'amour. Avec en plus la violence de leurs mots, ceux de deux fous.

Pendant la pièce votre visage fera l'arc-en-ciel, pantois devant les charmes de la sublime Mélanie Laurent, ému devant la poésie des répliques, écarquillé devant le jeu parfait de Jérôme Kircher, triste soudainement, vous rirez aux éclats à l'instant suivant, vous vous poserez des questions, vous chercherez à comprendre, vous espérerez, vous attendrez. Le texte de Nicolas Bedos est si bien écrit et joué qu'il placera vos émotions sur des montagnes russes tout au long de la pièce.

La mise en scène est épurée, par de simples jeux de lumière, on passe d'une scène à l'autre ; comme Mélanie Laurent passe d'une personne à l'autre de sa personnalité notamment par un beau jeu de perruques. Son corps sait occuper les planches, prendre possession de la scène et de vos émotions. Radieuse, elle est à la hauteur de son partenaire Jérôme Kircher, à la fois mystérieux et poétique. Ils sont tout simplement beaux.

Promenade de santé. Au théâtre de la Pépinière, du lundi au samedi à 19H.

Interview de Jean-Paul Lilienfeld (la Journée de la Jupe)


NOMINATION AUX CESAR

«Finalement, nous sommes récompensés»


Le film, qui a failli ne jamais voir le jour, se retrouve aujourd'hui nommé aux César dans la catégorie du meilleur film, du meilleur scénario et de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani. D'abord diffusé sur Arte, son succès lui a ensuite permis de passer au cinéma et maintenant de faire le tour du monde. A la fois film de genre et film social, La Journée de la Jupe dénonce à travers une prise d'otage dans un collège difficile, le mauvais traitement des jeunes femmes de banlieue. Le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld revient pour nous sur le succès non annoncé de son film.

AC : Le collège dans le film est une mini société; on y retrouve tous les problèmes sociaux actuels liés à l'éducation, la religion, la place des femmes, le conflit générationnel...

Jean Paul Lilienfeld : L'école est souvent traitée comme un sanctuaire alors que l'élève qui passe les portes de son lycée n'entre pas vierge de ce qu'il a vécu avant. A l'école se croisent les problèmes de chacun. Par ailleurs il ne s'agit pas dans mon film de toutes les écoles mais d’une classe dans une école. C'est un concentré de réalité. Destiné à poser le problème sur la table.

Le film est en train de devenir un outil de pédagogie, vous aviez la volonté d'en faire un film utile?

Deux académies ont pris la décision de diffuser le film dans le cadre des «mercredis du cinéma» au collège. Quand j'ai écrit le scénario, je n'avais pas la volonté de faire un film utile. Je me méfie de ceux qui prétendent faire du cinéma pour être utile ; autant travailler pour une ONG dans ce cas. Je voulais évoquer ces thèmes notamment en raison de mon histoire personnelle. J'ai vécu jusqu'à mes dix-huit ans à Créteil et l'école a joué pour moi le rôle d'ascenseur social. Je sais comment était l'école à mon époque et comment elle a évolué. Avant la haine allait d'un individu à l'autre, maintenant elle va d'un groupe à un autre, selon les origines ethniques ou religieuses.

Qu'est-ce qui a déclenché l'écriture du film?

Un reportage à la télévision lors des émeutes des banlieues en 2005. Une mère disait qu'elle se couchait tous les soirs devant la porte pour empêcher ses fils de sortir, et que dès qu'elle s'endormait, ils l'enjambaient pour aller dans la rue. Puis suivaient des images cocktails Molotov contre CRS et soudain une chose m’a frappée : Il n’y avait pas de filles sur les images.Où étaient-elles? N'étaient-elles pas en colère? Ou n'avaient-elles pas le droit de sortir ? Dans le film je montre ces filles.


A quel moment avez-vous pensé à Isabelle Adjani pour le rôle?

Je ne pensais à personne en particulier au moment de l'écriture. Ensuite est venue l'idée d'Isabelle Adjani parce qu'elle est une comédienne hors normes ; je n'ai même pas songé au début à ses origines. C'est apparu ensuite comme une évidence. Et elle a dit oui très vite.

Dans quelle mesure y a-t-il eu un «effet Adjani» sur le film?

On ne peut jamais savoir comment les choses se seraient passées autrement. Il y avait deux tendances : la joie pour les uns de la retrouver dans un film et le cynisme des autres évoquant un «éternel retour». Petit à petit le buzz est devenu essentiellement positif.

Vous sentiez que vous étiez en train de réaliser un film à César?

Je ne pouvais pas l'imaginer. Le film a été très difficile à monter, je ne trouvais aucun financement, à chaque fois il était refusé avec les compliments du jury. Ils aimaient le film mais ils le trouvaient trop sensible. Le film était la boîte à projection des fantasmes de chacun. Ils avaient peur de ses conséquences, de la polémique qu'il pourrait nourrir. Certains craignaient même une Fatwa. Finalement le film a été financé par Arte et, par conséquent, a été diffusé par la chaine en premier. Puis il a été sélectionné pour le Festival de Berlin ce qui nous a ouvert les portes des salles de cinéma.

Que change pour vous la nomination du film aux César?

Rien. Disons que j'ai eu de nouveaux amis et d'anciens nouveaux amis! Grâce à la nomination, j'aurai sans doute une oreille plus attentive pour le financement de mon prochain film. Mais s'il est à nouveau à risque industriel, les distributeurs ne le prendront pas ; c'est un raisonnement statistique, ils ont plus à perdre qu'à gagner en finançant de tels films.

Comment expliquez-vous le succès populaire du film?

La forme ludique du film permet au téléspectateur d'être partie prenante. Je voulais attraper les spectateurs émotionnellement. Ensuite il y a le fond, le film dit les choses telles qu'elles sont sans sortir l'habituelle boite à dogmes.

Sur quoi sera votre prochain film?

Mon nouveau film est au stade d'ébauche, il raconte l'histoire de deux femmes. J'y travaille depuis seulement deux mois car j'ai passé toute l'année dernière à accompagner «La journée de la jupe» partout dans le monde. J'ai été surpris de voir que même en Sibérie le film a parlé aux téléspectateurs. Ils m'ont expliqué qu'il y a des travailleurs immigrés Ouzbeks et Turkmènes en Sibérie. Ils y sont appréciés car musulmans, ils ne boivent pas d'alcool, ce qui est très appréciable au pays de la Vodka. Mais les mêmes phénomènes de racisme et de circuit fermé se reproduisent là comme ailleurs. De simple téléfilm au départ, le film est devenu un film qui a traversé nos frontières, il va bientôt passer aux Etats Unis dans quelques salles. Comme me disait Isabelle Adjani l'autre jour, l'histoire de ce film est très morale, ce qui est rare d'ordinaire ; nous nous sommes donnés beaucoup de mal et finalement nous sommes récompensés.