Nicolas Bedos

Il arrive à l’heure, les cheveux légèrement ébouriffés, sa chemise à peine ouverte et un large sourire sur les lèvres. Sourire que vient habiller une de ces cigarettes qu’il fume tant. « J’en fume dix par minute » plaisante-t-il. Nicolas Bedos est heureux. Avec ses deux pièces programmées pour octobre et janvier et le scénario des deux téléfilms de Josée Dayan déjà achetés par TF1, il peut l’être. 2010 sera son année.

A regarder de plus près son actualité, ce n’est plus lui « le fils de » mais son père, Guy Bedos, le « père de ». En effet, il lui confie de nouveau un rôle dans sa pièce « Le Voyage de Victor » (après Sortie de Scène). Il s’avère en réalité que les deux hommes se trouvaient en même temps dans une période de passage à vide et que leur collaboration s’est imposée d’elle-même comme une évidence. « Comme ça je profite un peu de lui » ajoute Nicolas Bedos en plongeant la piscine de ses yeux dans les vôtres.
Cette « période sombre » qu’il évoque du bout des lèvres, c’est celle qui a suivi le succès de sa pièce « Eva » avec Niels Arestrup en 2007. Le jeune homme avait derrière lui l'entame d'une carrière des plus prometteuses : d'abord scénariste pour Canal Plus, nommé deux fois aux Molières à 22 ans pour sa première pièce et une deuxième pièce qui a marché. Et puis du jour au lendemain, tout s’est arrêté, une pièce qu’il a écrite, réécrite mais qui n’a jamais été acceptée, un téléphone muet… Nicolas Bedos a connu le « vide ». Mais c’est désormais terminé, en témoigne à elle seule sa riche actualité.

D’ailleurs, n’a-t-il pas peur de s’épuiser avec deux pièces et deux téléfilms au compteur ? Il plaisante en vous répondant qu'il sort désormais comme le font les adolescents : seulement le samedi soir. Nicolas Bedos, travailleur ? Il se définit plutôt comme un paresseux : c’est parce qu’il a envie de se débarrasser vite des choses pour ensuite ne rien faire qu’il travaille beaucoup. A vous de lui objecter que précisément, il ne fait « rarement rien ». C’est son pulpeux sourire qui vous répond :
"Je suis un faux paresseux."
Il l’avouera beaucoup plus tard mais sa vraie crainte, c’est celle de la folie un jour. Il a tellement malmené son corps qu’il a eu peur de la « cuite de trop », se réveiller un matin sans verve ni esprit. Ainsi c’est cette peur que tout s’effiloche qui le guide dans ce travail forcené.
Il ne fait pas pour autant partie de ces "écrivains perpétuels" qui passent leur temps à écrire.
« Je suis torturé mais je ne suis pas un écrivain torturé. »
Ecrire, c’est l’étape la plus simple pour lui : il a seulement à se souvenir. Car Nicolas Bedos parle de sa propre vie dans ses pièces, il ne fait que la transposer et la rempoter dans d’autres corps : ceux de ses personnages. Sa dépression à 23 ans par exemple est devenue le suicide d’un homme de 60 ans dans Sortie de Scène.
Précisément, cette obsession pour les « vieux personnages » (dans deux de ses pièces comme dans le Voyage de Victor, le protagoniste est âgé) : traduit-elle une hâte de vieillir ? Il change de cigarette laissant deviner un sourire dans l’azur de ses yeux : « Une amie dit que j’ai soit douze ans soit soixante-dix ans. Je crois que je suis un mec de soixante-dix ans gâteux ! ». Pour lui, c’est surtout une question de génération : la génération actuelle est beaucoup moins préservée que ne l’étaient celles d’avant. Il n’y a plus cette forme de moralité qui protégeait. Une femme de 30 ans aujourd’hui a beaucoup plus vécu qu’une femme du XIXème siècle par exemple.
« Aujourd’hui, on n’est plus jeune très longtemps. »
C’est aussi une des raisons pour lesquelles il écrit beaucoup sur la mémoire. L’ingratitude vis-à-vis du passé est un thème qui lui tient particulièrement à cœur. Les deux personnages principaux de ses deux pièces souffrent d’amnésie. Ainsi dans Promenade de Santé, le personnage joué par Mélanie Laurent, une nymphomane en cure de désintoxication sexuelle, ne se rappelle jamais de ce qu’il a fait la veille ; cette virginité perpétuelle de l’esprit apparaît comme l’ultime palliatif du chagrin. Comme le dit Victor au tout début de la pièce Le Voyage de Victor :
« Il faudrait mourir après chaque histoire pour que la suivante ne porte pas le deuil de la précédente ».

Le mystère de ses personnages, il le cultive. Parce que "le théâtre est l'endroit du rêve", il situe un minimum ses personnages pour leur faire toucher de plus près l'Universel.

Et parce qu'écrire ne lui suffit pas, Nicolas Bedos met en scène et compose la musique de ses propres pièces. Un artiste complet, donc. Il s’est mis à toucher à tout très tôt, « j’étais le gamin qui avait envie d’épater ses parents ». C’était pour s’excuser de ne pas aller à l’école. Et draguer les filles.

Actualité :
Le Voyage de Victor (Théâtre de la Madeleine) dès le 20 octobre 2009
Promenade de Santé (La Pépinière) Janvier 2010
Les deux pièces sont publiées dans un seul livre chez Flammarion. (12 octobre 2009)

Blog :
http://nicolasbedos.blogspot.com/

Pierre Stasse

C'est l'histoire incroyable d'un jeune homme de 23 ans qui publie son premier roman chez Flammarion sans jamais n'avoir envoyé de manuscrit à la maison d'édition... Car ce n'est pas Pierre Stasse qui est venu à Flammarion, c'est Flammarion qui est venue à Pierre Stasse.
Il passe sa main dans ses cheveux en bataille et vous laisse percevoir un sourire dans la prairie de ses yeux :
"J'ai toujours eu beaucoup de chance"
De la chance il en a eue en se faisant repérer dans un concours de nouvelles organisé par Sciences Po. Sa nouvelle "Souvent je lui ai fait l'amour" lui a valu le premier prix et la flatteuse demande de Guillaume Robert (éditeur chez Flammarion) : un plus long texte. Le jeune homme avait dans ses tiroirs un manuscrit auquel il tenait particulièrement, manuscrit qu'il a retravaillé chaque mois pendant un an auprès de son éditeur pour se l'entendre refuser à chaque fois. Mais il s'agissait de doux refus, de ces refus confiants qui savent que le résultat viendra, qui ont la couleur de l'attente. Obstiné, Pierre Stasse? Après avoir réécrit tant de fois son texte sans qu'il ne convienne, il a décidé de l'abandonner pour en commencer un autre. 7 mois plus tard et Les Restes de Jean-Jacques furent sur le bureau de son éditeur. "Il m'a fallu 5 jours pour écrire la première moitié". Pour l'anecdote, c'est en voyant et achetant un cahier dans un souk tunisien que l'inspiration lui est venue...

Parlons-en de ce roman... "Fantasque" le style de Pierre Stasse, flirtant avec le surréalisme, réussissant un grand écart difficile entre poésie et acrimonie.
"Une fable futuriste et poétique, quelque part entre Boris Vian et Charles Bukowski" (Jacques Braunstein) GQ
Si l'auteur n'a pas le sentiment d'appartenir à une "famille d'écrivains", en revanche il admet faire partie de ces écrivains qui n'ont pas peur d'utiliser leur humour pour des sujets qui de prime abord ne s'y prêtent pas. Et lui de citer Kundera :
"L'humour est l'éclair divin qui découvre le monde dans son ambiguïté morale" (Les testaments trahis)
Grand lecteur, Pierre Stasse assume d'être "l'éponge inconsciente" de ses lectures. Il y a une douleur à lire des chefs d'œuvre comme Le Maître et Marguerite de Boulgakov , une question : "qu'est-ce que je fais là?"... Mais il faut dépasser cette question, l'extraire de son cerveau. Si les auteurs d'aujourd'hui ont une dette envers ces auteurs grandioses, il ne faut pas oublier qu'ils avaient eux aussi des dettes envers leurs prédécesseurs. Cette "lignée" des auteurs plaît au jeune écrivain; il y a quelque chose de noble à se dire que la littérature se "tient".

Puisque l'écrivain est toujours plus ou moins influencé par ses lectures... Faut-il forcément lire pour écrire?

Pierre Stasse admet la dimension culturelle de l'écriture mais il lui juxtapose une seconde dimension érotique. Il parle de ces périodes où l'écrivain est habité par une énergie érotique, d'une envie de faire l'amour, d'une énergie strictement sexuelle qui le pousse à écrire. Et en douceur, il relie "écrire" à désir. L'écriture est en elle-même physique, au même titre que la musique ou l'art en général.

L'auteur des Restes de Jean Jacques est à des lieues du cliché de l'écrivain torturé. Il ne s'imagine pas écrire en étant triste, cela exigerait le talent supérieur d'obvier à la tentation narcissique d'écrire sur ses propres tristesses.

Comment gère-t-il l'expérience toute nouvelle de la promotion du livre? L'après-écriture?

Il faut dire que le jeune homme est plutôt bien loti : les critiques dans leur grande majorité encensent le roman et le livre est d'ores et déjà en réimpression. Par ailleurs son éditeur Guillaume Robert fait réellement figure d'accompagnateur. Il suit l'écrivain dans les émissions de radio, dans les rendez-vous littéraires les plus infimes. "Il y a un côté famille" se plait à préciser Pierre Stasse. C'est au-delà du strict professionnel.

Mais devoir parler de son roman, en faire l'exégèse aux autres, n'est-ce pas un exercice difficile? Une défloration du livre?

Il reconnaît qu'il lui arrive de ne savoir que répondre à la question "Sur quoi porte ton roman?" mais il allonge son propos en citant Kant ; il n'est pas rare que le lecteur ait mieux compris un auteur qu'il ne s'est compris lui-même. Ainsi le livre ne s'arrête pas à sa dernière phrase, il cesse seulement d'appartenir à l'auteur. Il y a un "dessaisissement" qui s'opère. Douloureux? "Pas encore" répond-t-il.

Quels sont ses projets?

Il écrit déjà son nouveau roman. Il portera sur "les indifférences". Les différents personnages seront confrontés à leurs indifférences (sur le racisme, le sexe, la violence économique, la religion...) et devront faire des choix.

Et son état d'esprit? Est-il le même que lorsqu'il écrivait Les restes de Jean Jacques?
Sa perception a changé, il sait que les critiques seront plus exigeants. Le second roman est un exercice plus difficile, ce n'est pas un mythe. Il aborde donc l'exercice différemment. Mais sans douleur, toujours avec le désir brûlant de réussir. Car
"Il faut avoir faim."

Bibliographie :
- Nouvelle : Souvent je lui ai fait l'amour (2007) (Le Monde 2)
- Roman : Les Restes de Jean Jacques (2009) (Flammarion)

Florian Zeller


Romans, livret d'opéra, pièces de théâtre, court-métrage, paroles de chanson de Christophe... L’écriture de Florian Zeller épouse désormais toutes les formes. Serait-ce un moyen de ne pas se lasser de sa propre écriture ? Comme une jolie femme à laquelle on achèterait plein de jolies robes pour ne jamais s'ennuyer d'elle ?

Il attrape la question en écarquillant les yeux, tant les choses n'ont pas été calculées. Il s'agit au contraire d'aventure, de rencontres, du fait d'être disponible à un moment donné. Prenons l'exemple du livret d'opéra, c'était Françoise Sagan qui devait l'écrire mais ne pouvant le faire, elle a recommandé Florian Zeller. Puis la rencontre avec les acteurs (Gérard Depardieu notamment jouait dans cet opéra) lui a donné envie d'écrire pour le théâtre. L'enchaînement des événements semble si facile quand il en parle...
Aucun calcul non plus dans l'aventure musicale. C'est avant tout la rencontre avec Christophe, un artiste qu'il admire. Il n'éprouve aucun complexe à admirer. "Pour moi, admirer, c'est élever l'objet de l'admiration et celui qui admire."

Le hasard, donc, à chaque fois? Ne peut-on y voir une entremise du destin?

Le mot "destin" ne lui plait pas. Il ne pense pas que la vie ait un sens mais qu'il appartient à chacun de lui en donner un, à dimension seulement esthétique. Le roman, est l'endroit rêvé de cette fabrication de sens. Florian Zeller reprend l'exemple d' "Anna Karénine" : elle se donne la mort sous ce train, à l'endroit même où, au tout début du roman, le drame entre dans sa vie (quand elle aperçoit Vronski en descendant du train et qu'elle s'éprend de lui). On pourrait dire que c'est une vraie composition romanesque (composition circulaire et presque parfaite) et que ça ne correspond pas à la vie... Mais le roman, parce que c'est un art du montage et du détail permet justement de faire apparaître ce genre de coïncidences et de rapprochement. A l'inverse, le roman pourrait reprocher à l'individu de ne pas être assez réceptif à ces coïncidences quotidiennes et de se priver ainsi de la dimension esthétique de sa propre existence.

Son maintenant, c'est le théâtre... Florian Zeller reviendra-t-il au roman?

Il continuera à écrire des pièces jusqu'à éprouver la douleur de ne plus y arriver. Quand il évoque le théâtre, la lumière de ses yeux s'allume... et c'est la couleur de son regard qui s'offre à vous : l'éclat du soleil qui se mire dans une flaque d'essence. Bleu pétrole. Il parle de "vertige sans fin", de la "puissance incroyable" du moment des répétitions, du "très condensé de la vie" que l'on retrouve dans le théâtre.
Mais le roman reste son horizon. Cela va faire trois ans qu'il n'en a pas écrit ; il l'accepte car il en connaît la raison : il n'a pas envie d'écrire un roman pour les autres. Son prochain roman sera la somme de ce qu'il est aujourd'hui.

Est-il en train de l'écrire?

A chaque fois, le passage à l'écriture du roman s'est effectué différemment. Pour La Fascination du Pire, il avait l'impression que le livre était déjà écrit, qu'il était "à sa disposition", comme un objet que l'on devine dans la terre : il suffit juste d'être patient et de l'extirper. En revanche, pour les autres livres, le jeune écrivain avait plus l'impression de les écrire pour voir ensuite ce qu'il y avait dedans!
Pour ce dernier roman, c'est différent. Il le traîne avec lui depuis des années, il est dans sa tête. Il en profite alors pour faire une jolie œillade à Racine :
"Je l'ai fini, il ne me reste plus qu'à l'écrire."


Le romancier Zeller écrit toujours de la fiction. Est-ce pour se protéger du fantasme du lecteur, qui cherche toujours la vérité de l'auteur dans ses lignes?

Il y a toujours une part de soi dans le livre vous répond-t-il. La fiction et les confessions sont seulement deux travaux différents. Ainsi, même s'il s'agit de fiction, "je n'ai jamais déserté ce que j'ai écrit". "J'ai l'impression de saturer toutes les phrases de ma présence". L'écrivain se donne "en pâture". Les gens cherchent ce qu'ils veulent dans le livre et ils trouvent ce qu'ils veulent. Donc la fiction n'est pas du tout une protection de soi. C'est toujours violent. En écrivant, on donne le droit d'être lu. En fait,
"la planque rêvée c'est d'écrire sans être publié."


Mais n'écrit-on pas pour être lu, reconnu, avoir des prix? Savoir ce que l'on vaut?

Le fait de recevoir le Prix Interallié ne l'a pas rassuré sur sa "valeur". Car quelle notation prendre en compte? Si on prend l'exemple du théâtre, on peut avoir une très bonne critique et une salle vide. Ou des critiques assassines et une salle comble. Alors, quelle note prendre en compte? Et ça marche aussi pour une pièce dont les critiques seraient mauvaises et la salle vide. A qui donner le droit de noter? D'après lui, il est important d'avoir un cercle de personnes que l'on estime et écouter leurs avis. Le reste est tellement parasité par plein de choses... le succès, la presse...
"L'histoire de l'Art plaide pour son incertitude."


Florian Zeller, quelle est pour l'instant l'œuvre pour laquelle vous voudriez qu'on se rappelle de vous?
"Pour l'instant, j'aimerais plutôt qu'on m'oublie."
Et il enrobe ses dures paroles d'un doux sourire.

Œuvres :
- Opéra : l'adaptation française en 2004 de Háry János de Zoltán Kodály.
- Chanson : le dernier album de Christophe "Aimer ce que nous sommes" (2008)
- Court-métrage : "Nos dernières frivolités" avec Sara Forestier et Aurélien Wiik
- Théâtre : L'Autre (2004), le Manège (2005), Si tu mourais (2006), Elle t'attend (2008). "Elle t'attend" a été adaptée en Australie (2009), "Si tu mourais" à Hambourg et Bucarest (2009).
Florian Zeller vient de finir l'écriture de sa nouvelle pièce.
- Nouvelle "Le commencement de la fin" (2008) (J'ai Lu)
- Romans : Neiges artificielles (2002), Les Amants du n'importe quoi (2003), la Fascination du Pire (2004), Julien Parme (2006). (Flammarion)