1H15 avec Stanley Weber


(Crédit photo : Céline Bliss)
« Il faut apprendre à maîtriser son corps
sans texte »
À des lieues du séducteur fou qu'il incarne dans « Les Borgia » mais toujours séduisant, Stanley Weber m'accueille chez lui un bonnet sur la tête, décontracté, barbu, les yeux orageux, de la couleur de son sweat-shirt.
Plus tard il me confiera qu'il lui arrive de gravir les 26 étages de son immeuble à pied, pour s'entraîner. Dix minutes qui valent la peine : sa chambre a une vue imprenable sur la tour Eiffel et le Sacré Cœur.
Un café pour lui, une citronnade pour moi. Un peu de vent, sur le balcon. Un cendrier. Un livre de Bukowski qui traîne.

Vous jouez dans la série « Les Borgia », diffusée en octobre sur Canal Plus. Elle a été présentée ce week-end à Deauville... Vous y étiez ? Les échos sont positifs ?

Je n'y étais pas mais je sais que le film a été projeté devant 750 personnes et que ça s'est très bien passé ! C'était la première fois que Tom (ndlr Tom Fontana, le scénariste américain de la série) voyait des fans français et c'était assez drôle pour lui qui n'est pas très « bain de foule » !

Les Borgia, c'est l'histoire d'une famille... plus encore, d'un clan. Ça fait forcément penser au Parrain...

Tout le monde a envie de travailler avec cette référence, Tom le premier, c'est un fan absolu. Et d'ailleurs Mario Puzo lui-même reconnaissait s'être inspiré des Borgia pour construire le schéma familial du Parrain. Et avant, des familles historiques anglaises. Après, il faut savoir se détacher des références, pour ne pas tomber dans la caricature d'acteurs que tu admires.

Vous comprenez ce rapport à la famille ? C'est une vision que vous pouvez avoir de la vôtre ?

Pas du tout. Ça ne se passe pas comme ça dans ma famille. On est proches mais on n'est pas un clan. Avec les métiers qu'on a choisis et le père connu que l'on a, on n'a pas du tout envie avec mes frères et sœurs d'être considérés comme un clan mais comme des individualités. On veut faire notre chemin et de ne pas être dans son ombre. Même si je m'entends très bien avec lui, il est hors de question de me servir de sa notoriété pour faire quoi que ce soit dans ce milieu. Ce qui est très différent de Juan Borgia (ndlr personnage qu'il joue dans la série) qui va profiter de tous les avantages qu'un père étant pape peut avoir pour monter dans la hiérarchie et faire beaucoup de bêtises...

Vous jouez Juan Borgia... le frère de Cesare. Vous êtes un grand séducteur, tout vous est permis, mais des deux frères, le plus faible, c'est vous finalement...

Ils ont tous les deux des faiblesses mais effectivement Juan est plus faible intellectuellement. Physiquement il est plus fort mais il manque à la fois de courage et d'intelligence. Les deux vont ensemble. Moins brillant que son frère, il manque de stratégie dans le combat. Mais son père ne le voit pas comme ça donc il ne s'en rend pas compte.
Il est quand même assez malin, en tout cas suffisamment pour voir que son frère est plus intelligent que lui et pour essayer de s'en servir à certains moments.
À l'opposé, les faiblesses de Cesare sont aussi ses forces. Elles se retrouvent dans sa capacité à vouloir se remettre tout le temps en question tout en essayant de trouver la voie de Dieu. Juan se fiche de la religion, il agit de façon plus animale. Ce qu'il veut il le prend. C'est un cador, il fait beaucoup de zèle pour pas grand chose.

La revanche ou la rédemption, c'est que c'est Juan qui enfantera un saint, Saint François Borgia...

« Revanche », je ne sais pas parce que ce n'était pas du tout calculé de la part de Juan. C'est une notion qu'on n'a pas travaillée avec Tom, la descendance. Et puis il a tellement forniqué à droite et à gauche qu'on ne saura jamais combien d'enfants illégitimes il a pu avoir !

La saison diffusée retrace l'histoire de A à Z, ou il y en aura d'autres ?

On espère qu'il y aura une suite. La saison retrace l'éclosion d'une jeune fille, Lucrezia, qui connait ses premières règles dans le premier épisode, le retour de Juan au pays et l'accession de Rodriguo au trône au bout de 4 épisodes. Ce sont les premiers temps de règne.

Donc ce n'est pas grandeur et décadence... On reste uniquement dans la « grandeur »...

Si, je vous rassure, il y a un peu de décadence ! À partir du moment où Rodriguo est devenu Pape, il y a tout de suite eu des ennuis. Et puis il y a les problèmes à régler avec ses enfants. La fin de la première saison laisse la porte ouverte à une suite.

C'est votre première série ? La première fois que vous vivez ce « temps long » du personnage que l'on voit évoluer ?

Quand j'avais joué Louis XV, j'avais pu jouer un personnage de 16 ans à 64 ans, c'est déjà un gros challenge. Là ce qui est très excitant avec l'écriture de Tom, particulièrement brillante, sur douze épisodes le personnage passe par monts et par vaux. Le Juan de la fin du douzième épisode est complètement différent de celui du premier épisode, encore adolescent qui jouait à se battre avec son frère.

Et ça a été douloureux de le quitter ?

Oui, toujours un peu. Mais à la fin ça devenait dur à porter, il était alcoolique, de plus en plus violent. Les scènes étaient très physiques. Il devenait de plus en plus nerveux et l'étant moi-même c'était fatigant ! L'avantage de jouer en anglais c'est que ce sont vraiment des personnages. On ne joue pas sur une espèce de naturalité, on joue avec le plus de sincérité possible mais on n'a pas ce truc français d'être le plus « soi-même ». J'ai toujours considéré que mon personnage est beaucoup plus intéressant que moi. Moins je passe de temps avec moi même mieux je me porte.

Jouer un personnage, c'est prendre des vacances avec soi-même ?

(il rit) Oui, exactement ! Quand je ne travaille pas, je me cherche beaucoup...

C'est important de se chercher aussi...

C'est très important mais j'ai l'impression de trouver plus de réponses quand je suis avec un personnage, quelque chose qui me permet d'endosser une carapace toute la journée.

Vous dites que les Anglais sont plus dans le « personnage » alors que les Français cherchent à rester eux-mêmes... On joue si différemment en Angleterre qu'en France ?

Que ce soit clair : ce n'est pas une critique, c'est un constat que j'ai fait en sortant du Cours Florent... Quand j'arrivais devant un directeur de casting et que je lui disais « j'ai fait la classe libre de Florent, puis le Conservatoire », il répondait « aie aie, s'il-te-plaît ne sois pas trop théâtral, sois le plus naturel possible ! ». Et moi je ne comprenais pas pourquoi je m'embêtais à faire une formation aussi complète si c'était pour après me prendre ce genre de réflexions !
Je suis parti à Londres exprès pour ça, pour étudier à la LAMDA (ndlr The London Academy of Music and Dramatic Art) et j'ai eu l'opposé. Les directeurs de castings étaient à la recherche de formations solides. Là-bas, ils attendent de toi que tu arrives avec une proposition forte alors qu'en France on te demande d'être très malléable.
Mais ils sont aussi fascinés par les acteurs français, par cette distance naturelle, non jouée, à la Louis Garrel. Au Conservatoire, Philippe Garrel nous enseignait le non-jeu, on apprenait le texte sur le bout des doigts juste avant une prise.
Avant de partir à Londres, je ne savais ni jouer avec cette distance-là ni construire de personnage. Et bizarrement, en revenant, c'est devenu plus facile pour moi de switcher entre les deux méthodes. J'ai toujours considéré qu'un grand acteur, c'est celui qui peut travailler avec n'importe quel metteur en scène.

Comment expliquer que c'est en revenant de Londres, où la façon de jouer est aux antipodes de la méthode française, que c'est devenu plus facile pour vous de jouer « à la française » ?

Parce que je suis parti avec une espèce de rébellion contre le système français et je suis revenu avec une relaxation acquise par un travail monstrueux en Angleterre. La Lamda, c'est quand même une école où on te souhaite de bonnes vacances mais où on te dit de penser à courir tous les jours. Effectivement il n'y a pas un seul cours de théâtre, chant, où tu n'engages pas ton corps. Ton corps devient un outil de travail primordial. Ce qui est en arrière-plan en France, au Conservatoire. Le matin, à Londres, on allait courir dans les cimetières. C'est ça aussi qui est formidable là-bas, les cimetières sont des endroits vivants. Il y a même des gens qui y pique-niquent. Alors que je me verrais mal faire mon footing au Père Lachaise, par exemple !

Donc un bon acteur, c'est un bon sportif ?

Non ce n'est pas la question. Il faut avoir une grande maitrise de son corps parce que c'est le principal outil, la première chose qu'on voit. On lit beaucoup sur le visage mais on lit beaucoup aussi dans le langage corporel. Il y a un terme qui existe en Angleterre et pas en France : « la physicalité ». C'est une notion qu'on n'a pas ici. Ce n'est pas être beau mais c'est savoir utiliser son corps. Il faut apprendre à maîtriser son corps sans texte. Guillaume Galliene me disait « t'as le corps et le physique, t'as la chance de ne pouvoir rien faire, mais attention c'est ce qu'il y a de plus dur ». Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Rien faire, c'est le plus difficile parce que du coup le moindre mouvement prend une grande importance dans une scène. Les acteurs que j'admire le plus sont ceux qui posent leurs corps différemment en fonction des rôles, qui ne marchent pas pareil, qui n'inclinent pas leur tête de la même façon...

Chaque mouvement est étudié ?

C'est plus une énergie qui est étudiée, pas chaque mouvement, parce qu'il faut bien que les acteurs soient libres.
Aux Etats-Unis les grands acteurs de cinéma sont aussi présents au théâtre, au moins une fois par an on voit des Judi Dench, Kevin Spacey sur les planches... C'est leur façon de s'entraîner. L'acteur américain John Doman me confiait sur le tournage qu'il faisait du théâtre toutes les semaines avec sa troupe ; il me disait « c'est comme de la muscu, tu t'entraines ». Je trouve ça génial de voir le métier comme ça.

Et le fait de jouer en anglais, ça fait prendre du recul par rapport au texte ?

Ca donne une espèce de liberté très agréable. J'adore cette langue mais en plus il s'agissait de jouer le texte d'un écrivain absolument génial. C'est très fort. C'est la seule fois où en disant le texte, je retrouvais une énergie shakespearienne qui t'entraines. C'est-à-dire que d'un coup le texte fait tout pour toi, il t'embarque. Tu déconnectes, tu lâches prise et le texte a un flot, un rythme qui t'emmène. C'est une sensation formidable.

Vous n'en venez pas à vous dire que vous jouez mieux en anglais qu'en français ?

Non, je n'aurai jamais cette conscience-là. Juger ma performance, ça ne m'appartient pas. Je peux avoir un sentiment de réussite ou d'échec sur une scène. Mais sur la performance globale, le jugement appartient au réalisateur ou au public.

Mais vous prenez plus de plaisir en anglais ?

Pour l'instant, je ne peux pas répondre, je ne sais pas encore. Ca dépend des textes. Mais là c'est effectivement la fois où j'ai eu le plus de sensations. Avec la pièce de théâtre « Much Ado About Nothing ». Mais par la profondeur du texte joué.

Et vous n'avez pas peur en France de jouer comme un "British" ?

Un de mes profs disait « des méthodes il y en a des millions, ta méthode c'est ta tambouille ». Surtout il faut savoir l'oublier dès que le réalisateur dit « action ». Il faut aussi laisser l'instinct déconstruire tout. Il faut connaître toutes les règles pour pouvoir les enfreindre. D'où l'admiration que je peux avoir pour des acteurs repérés dans la rue comme Romain Duris qui se sont construits leur propre méthode pour en arriver à être un acteur aguerri. Chaque acteur a un parcours différent et il n'y en a pas un qui est mieux qu'un autre.

Pourquoi être parti de Londres ?

D'abord à cause du tournage des Borgia à Prague et aussi mes projets en France.

Vous pouvez en parler ?

Oui, il y a le tournage du film de Claude Miller « Thérèse Desqueyroux » fin septembre et une pièce de théâtre de Marivaux « L'Epreuve » sous la direction de Clément Hervieu Léger.

J'ai lu que pour préparer votre rôle dans Borgia, vous écoutiez la BO de Requiem for a dream... vous vous constituez à chaque fois un univers musical ?

Ce n'était pas pour préparer le rôle mais pour certaines scènes. Ca me mettait dans un état, une sensibilité. C'est aussi une façon de se concentrer, de s'isoler et de se baigner dans un sentiment. Je faisais une scène de guerre où je devais rentrer en transe dans une tente paniqué et j'écoutais la BO de Tron de Daft Punk.

Vous tenez aussi un cahier dans lequel vous collez des photos pendant le tournage ?

C'est ma Bible de tournage. Mark (ndlr Mark Ryder, l'acteur qui joue Cesare Borgia dans la série) s'est mis à faire comme moi. Je colle mes scènes les unes après les autres en laissant de la place. Ca me permet de ne pas me balader avec 12 scénarios dans mon sac. Des fois je trouve des photos, des éléments, des bouts de tissus, des trucs que je lis dans des livres ou que j'entends à la radio. Je consigne tout.

Un bout de tissu, ça peut vous inspirer ?

Une couleur, une sensation, un toucher qui va me rappeler un sentiment.

Ce carnet, en fait c'est un peu une éponge...

Oui. Et puis c'est un support agréable qui m'accompagne partout sur le tournage.

Comme un gris-gris aussi ?

Non, pas de superstition pour moi ! Le but c'est de tout oublier quand on dit « action ». Ca me permet de ne pas perdre la première vision que j'ai pu avoir quand j'ai lu le rôle au tout début. D'un coup dans une prise, cet instinct-là ressort tout seul sans qu'on aille le chercher. C'est la « maturation » du jeu.

Et vous documenter ça fait aussi partie de votre préparation ? Par exemple, pour Les Borgia, vous avez lu Machiavel ?

Non. J'avais commencé mais j'ai très vite arrêté. Ca aurait fait bien pour les interviews. Mais dès que j'ai rencontré Tom, je me suis rendu compte qu'il était un Wikipédia vivant, beaucoup plus interactif et beaucoup plus vivant qu'un écran d'ordinateur. Et il avait déjà tous les éléments en main. Ca faisait dix ans qu'il préparait la série ! Donc autant s'asseoir sur une chaise à côté de lui ! Le piège de lire trop, c'est que ça peut aussi vite t'enfermer dans un carcan. Et tu n'arrives plus à te créer de personnage. Sinon tu fais un copier-coller, ce qui n'est pas intéressant.

Quand vous étiez en Angleterre, qu'est-ce qui vous manquait ici ?

Mes amis. Dans les cours au Conservatoire,en revanche, rien... La viande, la bonne viande ! Et peut-être un petit peu, mais pas trop, ma petite amie de l'époque...

Vous êtes plus cheesecake au citron ou tarte au citron meringuée ?

Cheesecake ! Le matin ma petite habitude je me prenais un café latte et un muffin triple chocolate.

Et maintenant ici, le petit plaisir du matin, c'est quoi ?

Flocons d'avoine avec des raisins secs !

Ça donne moins envie !

Je vais devoir être torse nu dans dix jours, donc je cours et je vais à la piscine tous les jours. J'aime beaucoup courir sur les quais vers la Villette, il y a des coins très industriels, abandonnés qui sont très poétiques.

Très poétiques quand on est un garçon alors !

J'ai vu courir des filles pourtant ! C'est sûr qu'il ne faut pas y aller en hiver à 20 heures !

Quelle est la question que j'ai oublié de vous poser ?

Pourquoi m'interviewer, moi ?

Une série, un film et une pièce de théâtre, ça fait déjà trois bonnes raisons !

1H15 avec Raphaël Personnaz


"Il n'y avait pas de fuite possible, par aucun moyen"

Fraichement nommé aux Césars (*) et de retour du Tadjikistan, où il vient de tourner le film « Forces Spéciales » (avec notamment Benoit Magimel, Diane Kruger et Denis Ménochet), Raphael Personnaz confie ses impressions de tournage. En apparence (seulement), rien n’a changé, toujours le même béret planté sur la tête, le même regard de lac de montagne et la même affection pour les cigarettes. Le teint peut-être un peu hâlé... Rendez-vous chez lui, une viennoiserie à la main face à mon thé au jasmin.

>
Le retour n’a pas été évident...

Je suis rentré il y a deux mois et je ne me suis toujours pas réhabitué… Il faut dire que pour moi c’était la première fois que j’allais dans un pays comme le Tadjikistan où il n’y a rien ou pas grand-chose… On s’est trouvés confrontés à une région pas très stable, on était à 20 mètres de l’Afghanistan… dans des paysages hallucinants !

Il y avait eu des attentats au Tadjikistan avant que vous partiez, justement…

Oui, des attentats et 25 prisonniers évadés, mais pas dans la région où on était. Nous étions dans la région du Pamir, l’héroïne afghane transite par là et du coup, bizarrement, la région est stable car tenue de main de fer par les mafias locales. Mais tu sens quand même une tension dans le comportement des gens. Par exemple, la voiture des tadjiks qui bossaient avec nous s’est fait siphonner, puis pendant 4 jours, il y a eu des batailles rangées où les 50 tadjiks de la production ont affronté à coups de barres de fer d’autres du village. La police est là, mais elle intervient à peine. On retrouvait le matin les tadjiks qui travaillaient avec nous avec des yeux au beurre noir, des jambes cassées…
Ce qui était frappant aussi c’étaient les hommes qui se baladent avec des kalachnikovs. La première semaine de tournage, une voiture tournait autour du premier assistant réalisateur, un type est sorti avec un pistolet et lui a dit « ici on est chez nous ». Ca met tout de suite dans l’ambiance !

Dès le départ, le ton était donné…

Le premier jour, on est arrivés dans la capitale Douchambé à minuit et on est repartis à 5H, pour prendre un avion qu’on n’a jamais eu. Donc changement de plan : les quelques heures en avion sont devenues 18H de route en plein Himalaya avec un seul chauffeur ! Et on devait s’arrêter le moins possible vu qu’il y avait clairement des menaces ! On avait cinq militaires tadjiks avec nous avec kalachnikovs qui ouvraient la caravane de jeeps et qui fermaient, des mecs des forces spéciales aussi, c’était un peu tendu !

Tu as eu peur ?

Bizarrement ce n’étaient pas les kalachs mais la route de 18h qui faisait peur. Déjà 18h d’autoroute, ce n’est pas évident ! Mais là, c’étaient des pistes, avec des nids de poule tous les 5 mètres, à pic, avec un seul chauffeur ! Les quatre dernières heures, on était obligés de réveiller le chauffeur à coups de coude ! Tout ça a eu lieu dans la précipitation et la production a dû réagir très vite… C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de blessés, d’accidents…


Ca vous a rapproché ? ça a dû créer des liens d’emblée…

C’est sûr qu’on a partagé une sacrée expérience dès le début, on en parle d’ailleurs encore entre nous ! Je n’ai jamais vu ça de ma vie ! Quand on le dit, je sais que ça ne parait rien. D’ailleurs quand on m’avait dit le matin que ça serait douze heures (finalement ça en a été dix huit) je ne me rendais pas compte de ce que ça allait être... C’était insupportable, tu deviens fou, tu es dans une jeep toute pourrie, comme ça pendant 18h !
Au contraire, ça n’a pas mis une bonne ambiance puisque dès le départ les techniciens comme les comédiens on s’est dit « où est-ce qu’on va ? ». Le lendemain, pendant que les techniciens recueillaient tout le matériel et que les comédiens, nous faisions des essayages, il y a eu des explications entre les personnes de l’équipe et le réal… et on s’est dit : « le tournage ne se fera pas »… Pour des conditions de sécurité : parce qu’il y avait eu l’épisode de la veille et un terrible manque de confiance. On a tous été un peu sous le choc des 18h. Je l’ai appris par la suite mais il y avait eu des menaces de la mafia locale.

Ca, on vous l’avait caché…

Oui, on ne nous l’avait pas dit. Mais ça expliquait beaucoup de choses, notamment les 18 heures. On peut tout endurer je pense mais ce qui est insupportable, c’est d’être tenus à l’écart dans une bulle ! Ce qu’on recherchait en allant sur ce tournage c’était l’aventure et pas d’être isolés comme ça ! Donc on l’a dit. Je me souviens de la conversation que j’ai eue avec Denis et le réal. Je lui avais dit « je t’en supplie ne nous prends pas pour des enfants où tu ne nous dis rien de ce qu’il se passe. On est venus pour ça aussi ». On n’est pas des acteurs hollywoodiens qui ont besoin de leur caravane ! On était venus pour vivre les choses et les comprendre. Ce qui était très humiliant, c’était la mise à l’écart, comme si on ne pouvait pas comprendre ! C’est ce qui a été difficile au début du tournage.

Et maintenant quelle est la nature de vos liens ?

C’est comme une famille, on se revoit tout le temps. Après on verra si ça reste. Mais il est certain que même si je ne les vois pas pendant dix ans je sais de quoi on va se parler. Ce tournage a changé beaucoup de choses pour beaucoup de personnes, au moment du retour à Paris. Tout voyage change des choses, change la vision qu’on peut avoir des choses.

Tu dis que ce voyage a changé beaucoup de choses, mais au retour, on ne redevient pas l’animal social qu’on a toujours été ?

C’est le risque … Il y a deux jours je déjeunais avec un des acteurs, Alain Figlarz, sur le fait qu’on se réhabitue vite aux petites choses qui nous paraissent très choquantes au début quand on revient d’un pays comme celui-là… Mais tu conserves toujours ça dans un petit creux de ta tête… Bizarrement je n’ai jamais été aussi bien qu’en revenant, riche de cette expérience et aussi en accord avec moi-même, quitte à surprendre les gens autour de moi.


Les surprendre comment ?

J’ai changé, je suis moins « politique » qu’avant. J’essaie moins de porter le poids du monde sur mes épaules, je sauve ma gueule. Je suis peut-être plus égoïste, mais c’est mieux pour tout le monde, les autres ne se trompent pas sur moi, ils savent à quoi s’en tenir, au moins les rapports sont plus clairs. Maintenant je dis tout, je ne prends plus de gants. C’est ce que m’a appris la proximité avec un type comme Marius, droit dans ses bottes, qui peut sembler extrémiste, parce que son honneur est tellement important qu’il peut tout dire. J’avais pas mal d’a priori en me disant qu’il fallait faire des concessions, maintenant c’est fini. Ce voyage a été initiatique : une sorte de service militaire en accéléré, ça change beaucoup de choses. Même pour des personnes qui ont plus vécu que moi. Après ça dépend de comment tu reviens, si tu reprends ou non le mensonge quotidien social surtout dans ce métier ou il faut se valoriser... Ça m’a extrait de certaines amitiés. Au-delà de m’apprendre des trucs, ça m’a révélé des choses que j’avais en moi mais que je n’arrivais pas à conscientiser malgré moi.

D’être coupé de tes proches, sans aucun moyen de communication, pendant des mois, ça se gère comment ?

Tu sais que tu vas les retrouver. C’est très déstabilisant au départ, mais tu te recrées très facilement des liens, on vivait dans des yourtes, on mangeait des trucs dégueulasses, et finalement ça recrée une entité.

Une famille... Mais ce n’est pas effrayant justement ? Si on peut recréer des liens si facilement ailleurs, ça veut dire que ceux d’ici ne sont pas si importants que ça…

Non, ça n’enlève pas les liens que tu as d’avant. Ca sociabilise. Finalement, j’étais avec des gens que je n’aurais jamais fréquentés à Paris…

Parce que là, tu es obligé de prendre le temps de faire connaissance ?

Oui, tu es obligé de découvrir les gens. Ca m’a ouvert considérablement. Alain Figlarz par exemple, C’est un cascadeur connu, reconnu, ancien champion d’arts martiaux. Ce type là dans l’avion quand on a quitté Paris, fier avec ses lunettes de soleil, je le regarde et je vois des larmes qui coulent. Je lui demande ce qui ne va pas, il me parle de sa femme, sa fille, que ça va être difficile et là tu vois un gamin. Avec l’image que j’avais de ce mec là, jamais je n’aurais pu penser ça de lui. Qu’il soit à ce point là à fleur de peau, je ne le pensais pas. Ca m’a rendu le bonhomme d’autant plus sympathique et j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Pareil un type comme Marius, un ancien des forces spéciales, c’est un type imposant et en fait c’est la plus grande humanité que j’ai jamais vue. C’est très cliché de dire ça, » le dur au cœur tendre ». Avant j’étais dans la réserve avec ce type de personne.

Tu as su tomber le masque là-bas face aux autres qui eux aussi étaient obligés de le faire… Alors, on ne se dit pas que les liens créés là-bas sont plus vrais et ont plus de valeur que ceux créés ici… ?

Oui c’est pour ça que quand tu rentres tu te dis que tu ne t’es jamais senti aussi bien. Là bas tous les masques sont tombés à un moment donné. Il n’y avait pas de fuite possible par aucun moyen. Là-bas je ne pouvais pas ne pas montrer que j’allais pas bien à certains moments, ou que j’allais très bien à d’autres.

Pourquoi tu allais mal ?

Tout le monde sur ce plateau a eu sa période de down. Tout ça était tellement déstabilisant la façon de tourner de notre réalisateur qui vient du docu a déstabilisé tous les acteurs au début.

Donc c’était pour des raisons professionnelles ?

Oui mais aussi la première semaine, tu te dis que tu as un tunnel devant toi, au bout de 10 jours j’ai eu un craquage, pendant une journée entière, je n’arrivais pas à parler et c’est sorti en gerbe de larmes. On a parlé, ça m’a fait du bien, c’est la première fois que je montre mes faiblesses à des gens que je ne connais pas bien.

C’était un tout ?

Oui, le stress, j’ai été malade les 10 premiers jours, j’avais la tourista, j’ai perdu beaucoup de poids, 6 kilos, je n’ai pas supporté la nourriture. Parce qu’on avait un chef, un soi-disant chef français qui était incapable de faire cuire une patate ! C’est-à-dire qu’on avait des patates crues ! Et le type nous expliquait qu’en altitude on ne peut pas faire cuire les choses. Donc tous les gens qui habitent dans les montagnes bouffent cru !

Il est resté longtemps ?

Un mois et trois semaines, le temps de notre séjour au Tadjikistan. J’ai cru qu’il allait y avoir un meurtre. Quand tu travailles comme un acharné, dans un film d’action, c’est tellement important le moment où tu te poses pour manger… Et là c’était vraiment dégueulasse, mais vraiment.

Des exemples !

On mangeait beaucoup de yak, du bœuf en plus fort, ce n’est pas mauvais sauf quand c’est mal cuisiné... Alors lui il nous a fait de la moussaka avec du yak, de la « moussayak », des « yakettis bolognaises »…

Mmmh !

On a tout eu, le yak sous toutes ces formes ! On n’en pouvait plus du yak ! Mais la bouffe tadjik est excellente, on a pu en manger dans des petits trucs locaux, c’est une cuisine entre la cuisine chinoise et la russe. C’est très bon. Donc ce n’était pas un problème d’aliment mais un problème de chef. Magimel a perdu dix kilos. Et il a dit « on était au Tadjikistan avec un escroc ».

Quel regard portes-tu sur le film, maintenant ?

Le réalisateur est sacrément "burné" quand même, pour un premier film, il s’est mis de sacrés trucs dans les pattes, c’était un film d’action super difficile à faire et ce type là n’a jamais lâché ! Y’a eu quelques accroches avec les comédiens, techniciens… Au final j’ai un respect profond pour lui, qui est allé au bout de son film. Après je ne sais pas ce que ca va donner, je n’ai aucun recul, j’ai juste vu un teaser vachement bien !

Et sur ta prestation, franchement ?

Je demande à voir, on était tellement déstabilisés… encore une fois, j’ai du mal à avoir du recul sur ce film-là. Et puis je n’avais pas un rôle bavard, donc c’est plus une écoute que je devais avoir et ça, ça m’a frustré parce que je suis plus du genre à parler – tu l’auras remarqué ! C’est un exercice que je n’avais jamais pratiqué, et là honnêtement j’ai essayé des choses… Mais je ne saurais pas dire. Je mêle tellement tout ce qu’il y a eu lieu sur le plateau et en dehors du plateau… Pour moi, ça fait un tout. Je n’arrive pas à faire la différenciation. Le matin quand je me levais, je mettais mon treillis. C’était le cas pour tout le monde, le soir pareil. Pas une seule fois j’avais l’impression d’aller sur le plateau, pour moi, c’était tous les jours.

Mais on ne se prend pas trop pour son rôle du coup ?

Non, je ne tirais pas de talibans entre les prises !

Le côté physique du rôle, tu en rêvais ?

Ca a été dur. J’ai le rôle du sniper qui court énormément dans le film mais on était à 3500 m donc de l’oxygène tu en as moins. Il faut trois semaines à l’organisme humain pour s’habituer à l’altitude. Donc les trois premières semaines, qui plus est avec mes six kilos en moins, j’ai morflé. Il y a même eu une séquence en particulier - je n’avais jamais ressenti ça de ma vie, heureusement c’était la fin du plan – où j’ai eu la sensation de jambes coupées. Ton cerveau a beau dire « allez ! », tu ne peux plus. En fait je l’ai aussi eu une autre fois où on a pris un hélicoptère (c’était mon baptême d’hélico, pour l’occasion), ils m’ont déposé à 4400 mètres, l’équivalent du Mont blanc ! J’étais avec tout mon attirail qui pesait quelques kilos, l’hélico a redécollé, ils m’avaient mis un talkie et là ils me disent « cours ! ». Honnêtement je tenais vingt mètres à un bon rythme de course ! Ils me disaient « il faut le refaire ». C’était très éprouvant mais après, une fois que c’est fait, ce que tu es content ! Et c’est tellement unique, quand tu te retrouves à 4400 m tout seul ! J’espérais qu’ils puissent se poser à nouveau quand même ! Il y a aussi tout ce qui est tirer avec les armes etc, au début ce n’est pas simple. Mais au bout d’un moment, ça devient tellement une habitude… que là aussi tu découvres des trucs de ta personnalité, en te disant, que si tu avais été entrainé à faire ça, tu ne te poserais plus de questions au bout d’un moment. C’est assez révélateur sur la nature humaine.

Ton premier rôle d’action, donc plein de premières fois…

J’ai eu droit à des plans séquences, comme quand tu es gamin et que tu joues aux cowboys et aux voleurs. J’ai adoré ça. Avec des détonations, des explosions. Une fois, j’étais poursuivi par un taliban avec un lance roquettes, je me refugie dans une maison, le taliban envoie une roquette sur la maison… et là j’ai eu droit à mon plan à la James Bond, avec la caméra au sol, l’explosion derrière moi. Tu sens le soufre, les flammes, et tu flippes évidemment… Ca donne une telle sensation…
Tout ça c’était la première fois que je le faisais, le vol d’hélico, l’avion de transal pour faire du parachutisme,.... Tu te dis que dans ta petite école de théâtre, tu n’étais pas préparé à ça.
Il y a aussi eu des moments au-delà du jeu. Un en particulier. On était séparés de l’Afghanistan par une rivière seulement, donc ils ont connu les Russes en Afghanistan, Massoud, c’était des combattants, ils ont connu la guerre. Or il y a un moment calme dans le film, où les forces spéciales entrent dans un village et viennent à la rencontre du chef du village (joué par un acteur tadjik) qui leur explique que tous les enfants du village avaient tous été enrôlés par les talibans dans des écoles coraniques. Ca c’était la séquence. Les figurants étaient des habitants du village et à côté de moi il y avait trois petites vieilles dames, des visages super marqués, magnifiques. L’acteur tadjik commence sa réplique en afghan et pendant la prise, je regarde à côté de moi et je les vois toutes les trois en pleurs. Tu as juste à prendre ce qu’il y a autour de toi, tu ne joues plus. Et ça a été comme ça souvent. Que veux-tu jouer ? Tout est là ! C’est la force du réalisateur de nous avoir emmenés jusque là, dans des lieux le plus proche possible de la réalité. Il a voulu ça et il a capté des choses qui nous échappaient totalement.
Au début il y a eu une résistance inconsciente parce que tu as besoin de comprendre, de rationnaliser et puis au bout d’un moment on a lâché prise, on n’a plus voulu tout contrôler

Quel est le prochain film sur le feu ?

Je tourne en mars avril avec Julie Gayet, un premier film de Géraldine Maillet qui a déjà fait pas mal de courts métrages, et qui est auteur. Changement d’ambiance, c’est une histoire d’amour, pour l’instant ça s’appelle « Passage du désir » - j’aime beaucoup ce titre, c’est sur comment le désir nait une nuit à Paris entre un homme et une femme, et ça restera peut-être une nuit... Une nuit dans les rues de Paris, pas dans une chambre d’hôtel !

Donc là tu es un peu en vacances…

Oui et non, ça se prépare quand même !



(*) Raphaël est nommé dans la catégorie « meilleur espoir masculin » pour le rôle du duc d’Anjou dans « La Princesse de Montpensier » de B. Tavernier.