Jérôme Attal


"Parfois on est tellement amoureux
qu'on n'a plus le choix"

Rendez-vous par un de ces chauds après-midis avec l'écrivain et chanteur Jérôme Attal. Rayban sur le nez, un livre de Nabokov à la main, sourire aux lèvres. Son livre Pagaille Monstre est en cours de réimpression. L'occasion d'évoquer ce succès de librairie sur une terrasse d'un café du sixième arrondissement ; une heure et quart de conversation.

AC : Votre roman est construit comme les livres d'aventures dont on est le héros. Je me suis dit : pourquoi ne pas faire une interview à la façon dont votre livre est écrit, l'interview dont vous êtes le héros... Alors pour une question sur le livre en lui-même, on va directement à la question 1, pour une question sur les femmes à la question 12, et pour une question sur les pâtes à la question 16.

Jérôme Attal : Je vais prendre la question sur les femmes... Vous avez dit qu'il y avait une question sur les pâtes?

Oui, et ça a vraiment un rapport avec le livre!

Maintenant j'ai envie de prendre la question sur les pâtes...

Les pâtes ou les femmes, il faut choisir...

Dans les deux cas je choisis ce qui est frémissant.

J'ai l'impression que toutes les femmes dans le livre sont des tentatrices...

Oui c'était l'idée qu’à l’instar des êtres que l’on rencontre dans les livres dont VOUS êtes le héros, les femmes de ce livre sont des créatures soit mystérieuses soit monstrueuses mais toujours volontaires dans l'action et ainsi elles participent aux nombreux choix que va devoir effectuer le lecteur / héros. J’ai voulu garder l’aspect parodique de ce genre de littérature. Et où mieux que dans une histoire d’amour nous est-il donné de rencontrer des créatures, des vampires, des monstres, des revenantes ? Pour revenir sur votre question, si les femmes de ce roman vous paraissent des tentatrices c’est parce qu'elles sont plongées dans une mécanique d'action. Et puis peut-être parce que très vite chacune d’elles a compris qui était le héros de cette histoire, VOUS lecteur, et qu’elles ne veulent pas laisser la place à une autre ?

Il y a une très belle définition dans le livre de l'amoureux, ce « bâtisseur de cathédrales spécialisé dans le vertige », c'est presque christique, vous parlez de poser sur son cœur un vitrail pour y garder les couleurs, vous employez aussi le terme de créateur...

Oui, être amoureux c’est créer des instants, des souvenirs, des habitudes avec quelqu'un. C'est ça qui est triste, la disparition des habitudes et des rites quand on n'est plus avec cette personne. Il y a des moments qui ne reviendront pas. Et d’autres qui surgissent, un nouveau monde se bâtit en un souffle.

(Arrivée du café de Jérôme Attal et de mon coca light.) - Vous voulez mon spéculos?

Non, merci! (il en prend une moitié.)
C'est beau comme une cathédrale sur l'instant mais ce sont des cathédrales qui s'effondrent après...

Ce sont des cathédrales de papier! Pas qui s'effondrent, des cathédrales qui sont abandonnées par la suite. Dans lesquelles on ne revient plus.

Le livre est construit comme un labyrinthe... c'est pour ça que l'héroïne s'appelle Ariane? Jacques Attali a écrit « la femme est un labyrinthe pour l'homme »...

Non, je ne pense pas que la femme soit un labyrinthe pour l'homme, cette phrase ne me dit rien du tout. Et puis les labyrinthes sont faits pour qu’on s’en échappe un jour n’est-ce pas ? Pour Ariane, c’est surtout parce que je l’imaginais blonde et que je vois les Ariane blondes. - C'est beau comme du David Foenkinos ce que je viens de dire. Sa théorie sur les Nathalie est très drôle.

Vous avez maintenant le choix entre la question sur le livre, c'est la question 1 , la question sur le cinéma et on va à la question 15 et sur la fin du livre, allez à la question 12.

Ah donc la question sur les pâtes, c'est fini?

Ah non elle est toujours là!

Vous ne voulez toujours pas une moitié de spéculos?

Non merci! J'ai remarqué qu'à chaque fois que vous évoquez un plat dans votre livre, il s'agit de pâtes... Les pâtes au poulpe, les coquillettes au beurre, les spaghettis à la bolognaise... Vous raffolez des pâtes?

C'est parce que je n'arrive jamais à faire des pâtes pour moi tout seul ; je trouve que c'est un plat d'amoureux. Je sais mieux faire des pâtes pour deux dans la quantité, quand j'en fais pour moi tout seul il y en a toujours trop. Pour un régiment. Un régiment de solitude.

Et que vous faites-vous à manger quand vous êtes tout seul?

Quand je suis seul, je ne mange pas, je travaille.
Comme Pagaille Monstre est un livre trépidant, mon héros mange peut-être des pâtes comme un athlète, pour prendre des forces face aux vampires de l'instant.
Ca m'ennuie quand même qu'il n'y ait que des pâtes dans mes livres, peut-être à cause de certaines phrases qui galopent dans la pampa des mots, mais c’est promis je mettrai autre chose dans les prochains livres... Des spéculos par exemple !

Pour une question sur la fin du livre on va à la question 6, sur le livre en 1 et sur le cinéma en 15.

Sur la fin du livre.

Sur la fin du livre? Vraiment?

Oui, vous me proposez des trucs, je choisis! Si vous voulez la garder pour plus tard, il faut me dire que c'est pour plus tard!

Pardon, on la prend alors! Au final quel que soit le chemin que l'on prend, les histoires s'équivalent... c'est l'idée que finalement tout est écrit d'avance, que le choix qui semble important sur le moment ne l'est rétrospectivement plus?

C'est joli... Vous avez deux idées différentes. Sans que ce soit écrit d'avance, j'aime bien l'idée que ce qui nous semble important sur l'instant ne l'est finalement pas. Quand on est amoureux il y a des tas de choses qui nous semblent importantes et quatre ans plus tard on n'en a presque plus rien à faire. Mais le « presque » est peut-être plus important que tout.
Il y a notamment deux personnages avec lesquels le héros peut entrevoir une histoire plausible pour lui : Mai et Ariane. Et ce qui m'intéressait, c'est qu'à la fin de l'histoire avec Ariane, la lueur d'espoir vient de Mai. Tandis que si on prend la route vers Mai on voit que pour des raisons différentes ça ne se passe pas de manière parfaite non plus. Il y a des moments très euphoriques dans Pagaille monstre mais au final c'est une vision assez pessimiste des histoires d’amour.

Tous ces scenarii, ce sont les chemins de l'imagination, ceux entre lesquels l'écrivain doit choisir lors du montage de l'écriture?

Je dirais que c'est beaucoup plus simple que ça. Même s'il y a un peu de ça, c'est vraiment une réflexion sur la disponibilité amoureuse. Pour mon personnage qui a 20 ans et qui n'est pas fixé, plusieurs personnes gravitent autour de lui, c'est aussi la projection des vies qu'il pourrait avoir avec telle ou telle personne. C'est pour ça que dans mon livre si on choisit un personnage, il y a quand même toujours des possibilités de fuite. Comme dans la vie, les personnes qui nous ont marqué, marqué au point qu’on y repense, peuvent revenir.
Dans la relation amoureuse, le courage est très friable, parfois le courage c'est de rester, parfois de fuir pour quelqu’un d’autre et rester fidèle à soi-même.

J'ai lu que ça vous avait pris seulement trois mois à écrire alors qu'on a au contraire l'impression d'une mathématique de l'écriture...

Je cherche toujours la fulgurance, j’essaye d’éviter ce qui est laborieux. Dans le cas de Pagaille Monstre, écrire sur une petite période de temps me permettait de garder en tête les scenarii possibles. Mais c’est un faux problème parce qu’évidemment chacun a son rythme propre. L’important est de ne pas laisser gagner la fatigue, le découragement, ou le désarroi qui ont tendance à pointer leur nez chaque jour. Dans Pagaille ce que j'ai aimé faire, c'est parfois prendre une même scène, comme celle où le héros va déjeuner avec ses parents, et l'écrire de deux façons différentes selon qu'il découvre ou non au préalable sur internet des photos qui lui brisent le cœur. Ca me permet d’écrire, ce qui est rare dans un roman, la même scène deux fois de suite avec de très minces variations de dialogues selon l'état d'esprit du personnage. C'est aussi la notion de s'aveugler ou pas face aux événements, et au final s’aveugler permet souvent de gagner juste quelques minutes de bonheur en plus.

Bon, je ne suis pas Jérôme Attal, je ne m'en sors pas avec cette interview pagaille... Alors, je vais vous poser les questions dans l'ordre.

Oui, c'est un peu la pagaille!

La forme est ludique ce qui contraste avec la poésie du fond. Des moments de grande poésie finissent par la morsure d'un vampire. On n'est jamais ni dans la totale légèreté ni dans la totale gravité, comme les variations d'une musique... C'est cette musique de l'écriture qui vous a inspiré le concept de BOL (bande originale du livre)?

J'écris également des chansons en pagaille, et j'aime créer des correspondances entre mes différents travaux. C’était un concept qui m’amusait d’écrire à chaque fois une chanson non pour illustrer – ce serait tragique – mais pour annoncer chaque nouveau livre.

Il y a des phrases magnifiques, je corne le livre quand j'aime les phrases et il est très corné... on sent la recherche de la phrase juste avec une précision chirurgicale, en tant que lecteur on se sent très respecté, chaque mot est travaillé?

Oh merci ! Vous savez, quand je lis Francis Scott Fitzgerald, parfois je suis happé par une phrase superbe. Chez Nabokov, il n'y a pratiquement que des phrases superbes, et peut-être que ça crée une impression de vertige, de doux et irrésistible trop plein, on est envahi par les ronces du génie. Chez Fitzgerald, ça va, il y a quelques phrases neutres ou patraques pour soudain une phrase éclatante. J'essaie de faire à mon humble niveau des phrases qui correspondent à mon goût de lecteur.

Un bon écrivain est un bon lecteur?

Je ne sais pas si je suis un bon écrivain ou un bon lecteur, mais je suis mon premier lecteur. J'essaie de satisfaire à mon goût de lecture. Et à force d'écrire, je sais très vite ce qui me plait. Je ne me fais pas de cadeau dans le travail en espérant qu’au final c’en soit un.

Vous pratiquez beaucoup le pastiche (entre autres dans le journal fictif d'Andy Warhol, dans votre nouvelle Fat Lolita, ...), il y a un plaisir à travestir son écriture? On sort des codes dans lesquels on l'a enfermée...

Oui, j’ai le goût de me pencher pour ramasser un masque oublié après que la foule du carnaval s'est dispersée. En même temps, j'essaie toujours de tirer la couverture du pastiche si je puis dire vers mon style d’écriture. Dans le Journal fictif d'Andy Warhol, après le jouissif et détonnant exercice de style de créer des anecdotes toutes inventées mais qui auraient pu être plausibles, et de faire le premier livre d’Andycipation, j'ai écrit une longue nouvelle d’enfance sur Andy Warhol dans le style de La solitude exécutée, La nouvelle d’enfance qu’on trouve à la fin de mon roman Le garçon qui dessinait des soleils noirs.

Page 298 vous évoquez « la clairière de ne pas écrire »... "J'ai toujours vu les livres comme une espèce de forêt avec en son milieu une clairière, et peut-être que la clairière justement c'est de ne pas écrire.C'est ce qui n'est pas écrit, juste ressenti dans ce fatras d'expressions plus ou moins heureuses et cette pagaille monstre de virgules placées où on le peut qui constitue le véritable espace du livre..."

Je pensais à ce qu'on appelle les écrivains qui n'écrivent pas ou peu. J'ai l'impression que chez Duras ou chez Bataille il ne faut pas grand chose pour faire un livre et que c'est surtout le ressenti du livre qui en fait un livre.

Vous écrivez que ce qui n'est pas écrit, c'est l'espace du livre, il ne faut pas tout écrire?

Je crois aussi qu’il faut toujours garder des cartouches pour le livre suivant. C'est ce que je pense pour Jean-René Huguenin. Son livre magnifique et si dense : la Côte sauvage . C’est comme s’il avait donné toute sa violence et tout son amour du premier coup, quitte à en dessécher la vie ensuite.

Ca veut aussi dire qu'il faut suggérer les choses, laisser de la place au ressenti. Il faut laisser de la place au lecteur?

Oui, il faut laisser de la place au lecteur! C'est mon côté chanson j'essaie toujours de laisser de la place pour que les gens puissent y mettre leur histoire. Une bonne chanson c'est quand la chanson rappelle un moment qu'on a vécu, et que dix ans après en l'écoutant on se rappelle d'autres moments, toujours dans cette espace passé présent futur.
C'est le cas des grands livres, on peut les prendre à n'importe quel moment de sa vie, à chaque fois ils ont un sens différent, et tout en ayant un sens différent, on retrouve quelque chose d'irréductible qui fait la force du livre. Un grand livre nous permet de grandir à ses côtés.

Il y a un noyau?

Oui, il y a un noyau, pas forcement dans l'écriture, mais dans le ressenti du livre, la clairière dans le livre.

C'est l'âme du livre?

Je crois beaucoup aux âmes des livres. C'est ce que j'aime chez Marguerite Duras. Les livres que j'aime ont une âme. Quand j'évoque cette « clairière », je pense à l'âme du livre.
Je peux oublier les phrases ou les péripéties d’un livre, de quoi ça parle à tel chapitre, en avoir un vague souvenir, mais je n'oublie jamais l'âme d’un livre.

Toutes les héroïnes sont belles dans le livre, dans votre journal intime vous décrivez les jolies filles croisées dans la rue, vous avez un détecteur de beauté?

J’aime dans la beauté le petit côté disgracieux qui attire l’œil et le cœur dans un même mouvement. J’aime aussi le permanent dans l’éphémère.
C'est difficile cette histoire de beauté parce qu'il n'y a pas que ça qui entre en compte, il y a aussi l'histoire, l’histoire de ce que nous sommes au point de rencontre, ou la projection de ce qu’on pourrait être ensemble. C'est pour ça que j'ai adoré faire des études d'histoire de l'art, parce que l’histoire et l’art sont liés dans l’intitulé. Il y a une histoire dans la beauté et d’ailleurs la beauté sans histoires ce n'est pas très intéressant. Ce qu'il y a de rassurant c'est la subjectivité de la beauté, et l'amorce d’un amour qui permet de tout cristalliser sur une personne.

Enfin pas vraiment puisque, comme on le voit dans Pagaille Monstre, on se situe constamment à un carrefour de tentations... On n'est pas muré dans sa relation amoureuse.

C'est une question de caractère. On est quand même muré. C'est ce que j'ai aimé faire dans l'histoire avec Ariane, parfois on est tellement amoureux qu'on n'a plus le choix. A un moment dans le livre, on n'a plus le choix de façon concrète, on va d'un numéro à l'autre imposé car on est emmuré dans cet amour si violent qu’il en devient incohérent pour le héros / lecteur, c’est-à-dire pour le principe même du livre.

Vous allez faire une suite?

Oui, elle sort en octobre, j'en suis même vers la fin! Je vais vous montrer le début.

Pour le lecteur : imaginez maintenant un carnet recouvert de cuir marron, à l'intérieur, des pages blanches avec de petits Mickeys en noir et blanc imprimés, Jérôme Attal montre une page avec l'architecture du roman : des chiffres et des flèches. C'est très beau.Tout le reste est sur ordinateur.

Il y a des choses que je n'ai pas faites et que je vais pouvoir faire. Le héros est une fille. Je suis dans le stade euphorique, il faut que ce soit différent de Pagaille Monstre, que je trouve d'autres idées pour ne pas être redondant. Et mon personnage sera moins mélancolique car c'est une fille donc elle sera moins dupe des choses, même si elle tombera dans des traquenards infernaux... mais elle va moins donner leur chance aux garçons que ne le faisait mon héros avec les filles dans Pagaille Monstre. Elle est dans une dynamique d'action. Elle est un peu plus âgée, elle aura 25 ans alors que le héros de Pagaille a 20 ans. Elle aura aussi des aventures avec des filles.

Est ce qu'il y a une sexualisation de l'écriture? On n'écrit pas pareil quand l'héroïne est une fille?

Ah mais j’écrirai pareil. Je veux dire, c’est toujours moi qui écrirai ce livre. Après, mon personnage aura des réactions peut-être moins éberluées et contemplatives. Elle n’ira pas par quatre chemins pour en choisir un entre deux !

Et qu'y aura-t-il à la place des vampires?

Je pense qu'il y en aura encore, pour garder le côté parodique... il y en aura au moins un. Je crois que si pour les garçons la fin est de mourir entre les bras d’un vampire, pour les filles finir avec un homme qui les déçoit, est une forme de mort tout aussi violente.

Le livre est réimprimé...

Il y a un très bon bouche à oreille, ça commence à bien marcher, après je ne m'en rends pas vraiment compte. Il y a des déconvenues ou de bonnes surprises chaque jour. Je crois que j’ai un tempérament plutôt offensif et j’en attends toujours plus. J'ai la chance d'être avec un petit éditeur très entreprenant, parfois on se bat à deux contre les indifférents, ou tous ces gens qui pourraient vraiment nous aider et qui nous passent à côté. Ça n’a pas bien d'importance au final, tant que je peux travailler. Pour Pagaille monstre, les personnes qui l'aiment militent vraiment pour le faire découvrir autour d’elles. En fait, j'aimerais avoir du succès pas pour moi-même mais pour mon travail, pour pouvoir sortir les choses au moment où j'en ressens le besoin et où je les considère comme prêtes, ce que me permet pour le moment mon éditeur ; mais surtout un succès plus grand ou une diffusion pour avoir accès aux lecteurs qui pourraient être sensibles à mon travail.

Vous écrivez pour ça?

C'est ce que disait Cocteau, écrire c'est comme retrouver des frères en sensibilité de par le monde, comme les branches d'une étoile qui se serait brisée. Donc on écrit ni pour soi ni pour les autres, mais mieux : pour réparer une étoile aux fragments dispersés.

Pendant que j’y pense, personne ne me parle de l'histoire de Monet dans mon livre : à un moment le héros retrouve une fille qu'il a beaucoup aimée, elle lui parle de son nouvel amoureux, lui en fait l’article, le catalogue irraisonné, et comme haute distinction digne d’adoration déclare qu’il est très sensible puisqu’il pleure devant les tableaux de Monet ! Mon héros trouve ça ridicule et propose que s’il pleure devant les nénuphars par exemple c’est juste pour rajouter un peu d'eau. Qu’il est un de ces types qui estiment que ça manque un peu d’eau. J'essaie comme ça, mine de rien, qu'il y ait plein de petites idées délirantes dans le livre. Qu'on en ait vraiment pour sa lecture, si je puis dire. Qu'on trouve aussi des choses plus intimes, pour soi. - Les livres cornés par exemple, j'adore! Il y a des petites références éparpillées dans le livre, il est à double ou triple niveau de lecture, sans jamais se montrer excluant mais en donne un peu plus encore à ceux qui partagent ou retrouvent en mon travail une même sensibilité.

Vous tenez un journal intime en ligne depuis douze ans : vous allez le continuer toute votre vie?

J'espère, mon éditeur veut l'éditer l'an prochain. J'ai beaucoup de lecteurs qui s'en sont entichés à un moment de leur vie, l’ont abandonné sans prévenir (évidemment), puis y sont revenus après. C’est une expérience de la fidélité, aussi. L'idée de départ c'était que si vous aimez ce Journal, quoiqu'il se passe dans votre vie, je serai toujours là. C'est comme un territoire de mots accessible dans le monde entier. Et si vous voulez la nationalité : lisez-moi.

Vous pouvez décrire le bureau sur lequel vous écrivez?

C'est un petit bureau Ikea très bien. Un bureau pour chambre d’adolescent je crois. J'écris tous mes livres à la maison, même si je prends beaucoup de notes sur des carnets Moleskine en me promenant dans Paris. En ce moment je souhaiterai déménager, mes voisins me tapent sur le système, bruyants, irascibles de sans-gêne. J’aimerais bien qu’un de mes travaux ait un succès monstre pour que je puisse enfin déménager. J'ai des voisins odieux, au dessus et en bas de chez moi.

Vous êtes pris en sandwich et il n'y a pas de solution?

A part déménager, je n’en vois pas. Je suis resté longtemps ici parce qu'il y avait une jeune femme sublime qui habitait l’immeuble d’en face. Rien que son passage deux fois par jour dans la cour, et toute la trivialité, la vulgarité du monde, étaient dissoutes. Maintenant, elle est partie à Genève.

On ne peut vraiment rien faire contre le bruit?

Le silence ne gagne jamais. Même à la fin du monde, il y aura de l’écho.

Vous êtes écrivain, parolier de chanteurs célèbres (Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Michel Delpech, ...), chanteur, alors quand il se passe quelque chose dans votre vie, vous en faites quoi? Vous avez l'embarras des supports...

C'est le luxe que j'ai. Chaque émotion je peux la fixer comme un papillon, ou la creuser ou la régler soit dans le journal soit dans une chanson soit dans un roman. J'aime bien aussi mettre dans le roman des passages qui pourraient être dans le journal. Ca donne un peu d'urgence, d'immédiateté aux choses. C'est comme un peintre, en toute modestie, qui ferait de l'aquarelle, de la peinture sur bois, qui dessinerait sur des coins de nappe. Mais attention, la nappe a beau être en papier, j’espère que le dîner et la compagnie sont excellents.

Je le disais : vous êtes parolier, écrivain, chanteur, acteur (ndlr Jérôme Attal joue dans La fille aux allumettes, court-métrage de Franck Guérin diffusé sur arte pour lequel Jérôme Attal a aussi participé à l'écriture du scénario)... vous peignez aussi?!

Mon grand-père maternel : Jacques Collas, était un peintre belge élève de Robert Crommelynck qui se situait entre le symbolisme et le naturalisme. Je vous signale aussi que je suis un piètre acteur, mais j’étais bien entouré. Et puis j'ai créé l’illusion parce que c’est du cinéma.

Vous n'aimez pas ça?

Bien sûr, c'est une drogue. Je n'avais qu'une hâte : recommencer. Mais il faudrait parler de l’ambiance extraordinaire de Montmartre sous la neige, du travail admirable de réalisation de Franck Guérin, des images de Mathieu Pansart. Et des actrices qui m’entouraient, notamment la très jolie et très sensible Annabel Rohmer. Après, s’il faut recommencer à être acteur, ça ne me plairait pas de dire les mots d'un autre. Je ne suis pas assez bon comédien pour ça. Non par orgueil, mais parce que je suis avant tout quelqu’un qui écrit.

C'est rare d'avoir une palette aussi large quand même...

C’est surtout triste d’avoir une palette et de ne pas savoir peindre ! La chance que j'ai c'est que les chanteurs me considèrent comme un écrivain, et les écrivains comme un chanteur. Donc tout le monde me fout la paix. Je n'entre pas en concurrence. Je reste underground comme il faut dans les deux milieux.

Le serveur : On vous offre le Ricard, vous voulez un verre?

Juste pour goûter... (il trempe ses lèvres) - C'est pas bon, ça.
J'aimerais construire quelque chose de cohérent. Dans l'idéal quelqu'un qui va écouter une chanson que j'ai écrite, va retrouver dans mes romans une même sensibilité.

Vous êtes quelqu'un de cohérent?

Je préfèrerais. J'ai toujours été comme ça, assez sévère sur les choses et sur les êtres. C'est pour ça que je ne bois pas. Sauf quand je trempe mes lèvres dans un Ricard qu'on m'a offert, là c'est pour le geste, je n'allais pas lui dire non à cet aimable garçon. Je n'aime pas perdre le contrôle des choses et je n'aime pas faire n'importe quoi. Ou alors faire n'importe quoi mais pas avec n'importe qui.

Tout est sous contrôle?

Oui parce que ca me plait, j'ai besoin de sécurité et de contrôle pour travailler, pour avoir des idées tenaces ou délirantes.

Vous avez des habitudes? Parce qu'elles permettent justement de ne pas s'évader de sa propre cohérence...

Oui, j'aime les rites, j'aime les habitudes parce que c'est encore de la création. J'aime manger trois mois de suite la même chose jusqu'à ce que ça me passe, j'aime être en sécurité, je n'aime pas voyager, j'aime ce quartier parce que j'y ai mes repères.

Quelles sont vos habitudes en ce moment?

Ce sont les gâteaux au chocolat de chez Regent's park dont une des moitiés est trempée dans du chocolat.

On en trouve où?

Chez moi si vous venez boire le thé. Ou alors dans les Monoprix au rayon anglais.
Mes habitudes en ce moment, ce sont aussi une ou deux soirées par semaine où je regarde des séries : Curb your enthusiasm et Mad men. C'est également un thé, le thé Pu Erh, du thé chinois, je carbure à ça.

Les gâteaux sont croustillants, vous les trempez dans du thé?

Détrempez-vous, je suis assez trempeur mais là non. Dans le thé, ils se désagrégeraient. J'aime bien tremper dans des yaourts.

Moi aussi, je fais ça avec le pain.

Ah, d’accord. Je suis plutôt biscuit-yaourt. J’aime ce qui est à la fois onctueux et solide.


Bibliographie :


Pagaille Monstre (roman, Stéphane Million éditeur)
Le Journal fictif d'Andy Warhol (récit fiction Stéphane Million éditeur)
Le garçon qui dessinait des soleils noirs (Stéphane Million éditeur)
Le Rouge et Le Bleu (éditions Le mot et le reste)
L'amoureux en lambeaux (roman, éditions Scali)

Nouvelles parues dans Bordel (Stéphane Million Editeur) :

Triptyque d'un soir de juin
Le Dickfor
Le Poids de l'existence vu d'une chaise d'arbitre de tennis
15 x Patrick Dewaere
Le sombre amour de Jacques Mesrine
On ne se souvient pas du goût des baisers
Henri Pottier à l'école de france
Blade runner vs star academy
Fat Lolita
Dinorama


Albums :
Genoux, hiboux, cailloux (2002)
Live récompensé par le prix de l'album autoproduit en 2005
Comme elle se donne (2005)


Cinéma : La fille aux Allumettes de Franck Guérin (2009)

Le journal en ligne de Jérôme Attal : http://jerome-attal.com/



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