1H15 avec Vincent Macaigne

Le polo rouge lui va très bien. Charmant timide dans "Un monde sans femmes", Vincent Macaigne sert de guide à deux Parisiennes, mère et fille, en vacances une semaine sur la côte picarde. Un imbroglio amoureux où les regards se croisent, parfois cruels, souvent très doux.
Des yeux qu'il a posés derrière la caméra pour son premier film "Ce qu'il restera de nous" primé trois fois au festival de Clermont-Ferrand, le Cannes du court métrage.
Rendez-vous nocturne dans un café à Parmentier, barbe de cinq jours, Metronomy en fond sonore, de plus en plus fort, deux bières

Le film de Guillaume Brac est précédé d'un court métrage "Le Naufragé" où on peut entendre cette jolie phrase "Un bébé devrait ressembler au moins un tout petit peu à tous les hommes qu'une femme a aimés"

C'est amusant, Guillaume n'était pas sûr de la garder dans le film. Moi j'adore. Ce doit être une phrase assez intime pour lui. J'étais vachement fier de la dire. J'ai le souvenir de m'être battu pour qu'elle ne soit pas coupée. Cette réplique, je l'entends comme un partage d'amour.

«Un monde sans femmes»... C'est la solitude dans laquelle se trouve Sylvain, bouleversée par l'arrivée d'une mère séduisante et séductrice accompagnée de sa fille, gracieuse et discrète...

Il n'est pas bouleversé par leur arrivée, il est en attente de gens. Je ne pense pas qu'il tombe amoureux de la mère mais qu'il est ému par cette possibilité de vie qui lui arrive. Le personnage de Sylvain est assez ambigu, on ne sait pas du tout d'où il vient.
Quand je l'ai travaillé, je me suis imaginé que c'était une sorte de Nietzsche. Un mec qui porte un truc immense en lui mais on ne sait pas trop quoi. Ça ne se voit pas du tout dans le film, ce sont des choses que je me suis raconté tout seul. J'aime bien Nietzsche, pour moi c'est un homme très timide et très touchant. Il avait proposé à plusieurs femmes de se marier avec lui. Il n'avait pas le temps de faire la cour mais en même temps il avait l'envie d'aimer. Je trouve ça assez beau.

Il sait dès le début que c'est pour une semaine, il est conscient qu'il a tout à perdre, qu'à leur départ, la solitude prendra un goût encore plus amer ?

La fin est assez ouverte, le film finit sur une note très belle et en même temps on ne sait pas ce que ça va produire sur lui, il y a un doute.

D'ailleurs ça se termine sur le visage de la jeune fille...

Le film commence avec elles et finit avec elles, lui n'apparaît que par elles. C'est pour ça qu'on ne sait pas ce qu'il devient.

Un monde sans femmes, ça n'existe pas puisque même quand elles ne sont plus là, on pense à elles !

C'est la beauté du titre, finalement ce monde sans femmes, on ne le verra jamais.

Guillaume Brac dit qu'il a écrit le rôle pour vous, en fonction de votre personnalité.
Le costume est sur mesure ?

Je ne pense pas être comme ça dans la vie. Rien que physiquement, je suis quand même un peu moins empâté que lui, enfin je pense. Mais je pense que lui comme moi, on est entre deux âges donc entre deux façons d'être. Ça raconte une timidité presque adolescente.

On peut être entre deux âges toute sa vie ?

Oui, je le suis.Très timide et en même temps pas du tout. Comme tout le monde, ça dépend des situations.C'est la force du personnage de Sylvain qu'on ne sache pas ce qu'il a été avant. Je trouve ça hyper beau que quelqu'un soit là sans raison. On ne s'embarrasse pas de savoir pourquoi il est timide.

Sa timidité, c'est comme un videur de boîte de nuit. 
Les gens qui ne franchissent pas l'obstacle, n'en valent peut-être pas la peine...

Un videur de boîte de nuit voit beaucoup de monde. Sylvain, lui, voit peu de gens, il a peu de chance d'être confronté à l'autre.

Alors quand ça arrive, il prend tout, tout de suite ?

Oui, il est hyper heureux de voir ces femmes. On est timide quand il y a un enjeu pour soi. Comme embrasser une fille. On aurait envie que l'autre fasse le pas, pas par ego, mais pour que ce soit plus simple, plus joli. On a envie d'être compris par l'autre avant de devoir expliquer. Par exemple dans le film, le gendarme est plus à l'écoute avec la mère, plus ouvert.

Parlons-en du gendarme... La mère est vue à travers deux regards masculins très différents, celui du gendarme pseudo beau gosse et le vôtre, timide et troublé. Vous dites que le gendarme est plus à l'écoute, mais il est très basique ce garçon, il veut juste la mettre dans son lit.

Il n'est pas si basique que ça, il a une sorte de douceur et de vraie envie d'aimer même si elle ne se voit pas. Il a une facilité... Les gens plus sociables c'est tout de suite plus sympa. Je ne suis pas sûr que ce soit très drôle de passer une soirée avec Sylvain.

Ce qu'elle aime chez le gendarme et qu'elle n'a pas avec Sylvain, c'est peut-être la séduction qu'il active entre eux deux.
Mais des deux regards posés sur elle, le plus juste c'est celui de Sylvain.

Je ne suis pas sûr, pour moi le personnage est plus ambigu que cela. Quand je l'ai joué, je ne me suis pas dit que c'était un homme bon. Après, il cherche le contact avec l'autre et de manière douce, ça c'est bien.

Cette manière douce, on la ressent dans une scène où vous avez une façon bien particulière de prendre la main de Juliette. C'est difficile à décrire, on peut dire que c'est maladroit. Personnellement, on ne m'a jamais pris la main comme ça. C'était votre idée ?

Quand je l'ai fait, j'ai trouvé ça drôle. Si ça avait continué, j'aurais pu avoir un fou rire. C'est tellement bête de faire ça.

Vous avez déjà pris la main d'une fille comme ça ?

Oui, j'ai déjà fait tellement de trucs bizarres ! Je peux ne pas du tout être fin.

Cette maladresse, c'est la chorégraphie du désir qu'il ne maitrise pas ?

Ça l'angoisse. Je pense à Nietzsche, c'est comme s'il n'avait pas le temps pour ça... Alors qu'il a tout son temps ! Peut-être qu'il a juste envie qu'on l'aime.

Et peu importe la personne.

Ce n'est pas moi qui l'ai écrit mais c'est un personnage ambigu. Il essaie avec la mère puis il essaie avec la fille, quand même.

C'est la jeune fille qui vient le chercher ! Dès le départ, elle pose les bons yeux sur lui, le regarde comme il faut le regarder, elle le comprend tout de suite.

Je suis d'accord, la fille le regarde mieux que la mère.

C'est ça être aimé, être bien regardé ? Accepté d'être regardé aussi ?

C'est plus compliqué. On peut bien regarder une personne sans qu'elle aime être regardée comme ça. Être bien regardé ça peut être très cruel aussi. On peut choisir d'être avec quelqu'un parce que ça nous calme et je ne pense pas que chercher le calme soit beau, je ne crois pas que ce soit sage. Les gens veulent être réconfortés, moi le premier... Mais après le réconfort vient l'ennui. Et le problème c'est que ça peut venir très tard. On ne parle plus du film de Guillaume là, je ne sais pas comment on en est venus à ça !

Dernière question sur le film de Guillaume Brac, dans « Le Naufragé », le cycliste hésite à prendre une pâtisserie, spécialité picarde, à base d'amandes, j'ai été frustrée qu'il ne la prenne pas, vous avez pu y goûter, c'est bon, c'est quoi ?

Je ne m'en rappelle plus. On mangeait chez Bouboule et la spécialité locale c'était plus les moules-frites !


Vous êtes en salles aussi pour un autre moyen métrage, le vôtre cette fois, votre premier...« Ce qu'il restera de nous ». L'histoire de deux frères confrontés à la mort de leur père. L'un, le préféré, désintéressé par l'argent, hérite de tout. L'autre n'a rien. S'ensuit un violent face à face qui se joue à trois, avec la compagne du frère oublié, pendant 40 minutes.
Jusqu'à présent, vous avez créé au théâtre, là comment vous y êtes-vous pris, vous avez tiré le théâtre vers le cinéma ?

J'ai fait ce film avec une caméra pourrie. Enfin j'aurais pu le faire avec un appareil photo ! J'ai essayé d'avoir une image avec plus de grain. Je ne voulais pas faire semblant de faire du cinéma comme un petit enfant. Je cherche ma manière à moi de raconter mon histoire, ce que je n'ai pas encore trouvé. J'ai fait un travail de cadre. Je voulais que l'énergie soit là et surtout pas de gros plan pour pallier une énergie. Le mouvement vient des sujets.

Un tournage sans techniciens, juste vous et votre caméra... Les acteurs ont facilement accepté l'aventure ?

J'ai toujours des acteurs qui arrêtent le projet en cours. (rire) Ce qui est beau, c'est que certains acteurs ont aussi fait les assistants. Il y en a même qui ne sont pas à l'écran et qui sont restés jusqu'au bout, Rodolphe Poulain, par exemple. C'est un grand acteur de cinéma même s'il n'en a jamais fait, une sorte de Depardieu. Ses scènes étaient très belles mais je n'ai pas réussi à les intégrer vraiment bien au film.

Vous avez dit que le problème du cinéma, c'est tout le bruit qu'on enlève.

J'aime beaucoup faire du cinema. Je le vis comme si j'avais été enfermé pendant dix ans dans une pièce noire (le théâtre) et là, enfin, je peux sortir. J'entends les canards, je suis content.
Pour en revenir à l'idée du bruit, là, si on nous filmait maintenant, on serait tous les deux très justes. Mais si au cinéma on devait rejouer cette scène-là, il y aurait des spots et des techniciens, ils ne parleraient plus tout à coup et tout serait braqué sur nous, et ça serait plus intimidant, non ?

Cette vie à enlever, c'est difficile ?

C'est toujours une question de concentration, d'arriver à être dans la vie, tout le temps, et en même temps dans l'histoire. C'est tellement simple que ça peut devenir difficile. J'essaie de ne pas trop arrêter la caméra pour que les comédiens oublient qu'ils sont filmés.

Il y a eu beaucoup de choses improvisées ?

Dans l'absolu oui, j'ai eu 60 heures de rushes mais j'ai gardé surtout les scènes écrites, très peu les improvisations.

Je croyais que vous aimiez l'accident...

Je n'aime pas les accidents par hasard, j'aime les provoquer.

Un accident provoqué, ce n'est déjà plus un accident.

Pour moi, la pensée c'est déjà un accident. J'aime quand c'est soudain. Si je vous touche, c'est un accident. Jouer, c'est une forme d'accident. Si on est bon à un moment donné, c'est déjà rare. C'est quand on voit la pensée active. Là par exemple vous m'écoutez, mais on voit que c'est une grande énergie. Au cinéma, l'écoute peut être chiante. Là vous faites des trucs. C'est ça l'accident, quelque chose qui nous échappe complètement et qu'il faut retrouver quand on joue un rôle.

Au théâtre, vous provoquez davantage l'inattendu.

Oui, par exemple, un comédien peut se prendre un pot de peinture dans la figure dans un accident de parcours. Mais c'est plus l'histoire qui est un accident que les petites choses qui peuvent arriver au comédien. C'est ce qu'on retrouve chez Dostoievski, des personnages qui dans l'urgence, en voulant régler un problème, vont de problèmes en problèmes, malgré eux. C'est aussi ce que fait le théâtre de boulevard, en fait ! (rire) Mais c'est la vie. Je ne sais pas ce que vous allez faire après notre interview, vous y pensez peut-être déjà. Vous voyez, vous avez un passé et un futur, ils existent tout le temps, c'est complètement situationniste.

Le film est brutal, vos pièces aussi. La création, c'est l'endroit parfait pour révéler votre part de violence ?

Oui, on peut dire ça. C'est une sorte de colère amoureuse. Comme si on donnait des coups à quelqu'un pour le réveiller. Je ne pense pas être quelqu'un de très haineux. C'est très violent mais la volonté est amoureuse. Je crée avec mes peurs, mes tristesses, mes colères et mon amour.

Vous faîtes du cinéma pour ne pas devenir fou ?

Pour continuer à se battre, à aimer mais pas calmement.

C'est pour ça que vos pièces sont des champs de bataille ?

Le théâtre, c'est un groupe contre un autre groupe, le groupe des acteurs pose une parole face au public. J'aime l'idée que ce moment vécu soit un moment qui coûte.

Quels sont les films, les pièces sur le feu ?

J'écris deux films, et après je suis censé faire une autre pièce avec plein de vieux qui raconterait comment ils ont commencé à rater leur vie. Je suis un peu embourbé dans mes différents projets, là.

Vous écrivez les deux films en même temps ?

Le problème c'est que je suis tenté par le long, j'aime les longues histoires qui durent quatre heures. Le premier c'est l'histoire d'une famille en deux temps, on retrouve trois enfants devenus adultes. C'est assez tragique, c'est assez beau je pense, ça me tient à cœur.

Et l'autre film ?

Ça commence avec une femme qui veut retenir son amoureux mais qui lui dit en même temps qu'il est devenu moche. Et puis ça lance le film sur quelque chose de social qui n'a rien à voir.

C'est important à chaque fois de faire jouer vos amis ?

Oui, c'est primordial. Travailler, ce n'est pas un acte professionnel pour moi. J'ai des amis qui ne sont pas acteurs, je tiens à le dire ! Ça me permet d'être avec des gens très vite. Mais je suis chiant avec tout le monde. Ce n'est pas parce que ce sont mes amis, que je ne les dirige pas.

Pour en revenir à ce cinéma d'amis...

(Il rit) C'est une jolie expression « cinéma d'amis » !

Il paraît qu'avec Guillaume Brac, les débuts ont été difficiles, la première fois qu'il vous a vu, il vous a détesté.

Vous savez tout ! C'était une fin de soirée arrosée, à 6h du matin, on était dans sa voiture, sur la banquette arrière à faire des blagues, à parler fort, avec un autre garçon, pendant que Guillaume conduisait et pour lui c'était insupportable, il voulait du calme.

Vous savez déjà quels amis vous allez mettre en scène au cinéma ?

Je ne suis pas un metteur en scène qui a des envies d'acteurs. Ce qui peut être cruel. Pour moi, les films, ce sont plus des batailles en commun.
Pour aller voir "Un monde sans femmes" : http://www.allocine.fr/seance/film-198683/