Bruno Putzulu

17h dans un café rue de Rambuteau. Bruno Putzulu se fait attendre. Une bière plus tard, il n'est toujours pas là. Essoufflé, il s'excuse. Journée chargée, gilet noir, yeux noisettes. En commandant son eau gazeuse, il explique qu'il revient d'une maison d'édition connue : ils veulent qu'il écrive un livre.
Le beau quadragénaire s'apprête-t-il à quitter les planches pour sa plume? « Je suis d'abord un comédien » et il ourle la simplicité de sa réponse d'un généreux sourire. Acteur, il a voulu l'être dès sa plus tendre enfance, quand pris dans la déferlante Bruce Lee, il allait tous les jours au cinéma regarder en boucle le même film. Petit à petit, l'ouvreuse l'a pris en affection et lui a fait découvrir d'autres films. C'est la flamme du petit garçon pour le cinéma qu'elle a fait danser. Cette même flamme qui s'est rappelée à lui quand lancé dans des études en Lettres Modernes, il décide du jour au lendemain de tout abandonner. Il lisait dans sa chambre d'étudiant « Mort à Crédit « de L-F Céline, puis arrivé en bas de page, il réalise qu'il a lu sans lire. Cet acte manqué suffit à lui faire changer le cours de sa vie. Il plaque tout et se lance dans la préparation du concours pour le Conservatoire National d'Art Dramatique. Il se rappelle avec tendresse de ces quatre années d'entraînement pendant lesquelles il n' était pas grand chose sinon un comédien en devenir qui s'égarait dans les regards empreints de doute de ses interlocuteurs. Non seulement admis, il a ensuite intégré l'illustre troupe de la Comédie Française.

"Acteur, c'est la meilleure chose que j'ai trouvée pour vivre"

Parce que le théâtre est un condensé de la vie, il permet de la vivre plus intensément. Les rôles, pour les différentes vies qu'ils incarnent, enrichissent la vie personnelle de l'acteur. "Il y a des personnes que j'ai réellement connues qui me manquent moins que certains personnages". En lui révélant des facettes de lui-même qu'il ignorait, le théâtre lui a aussi appris que l'on ne peut jamais se connaître. « Une vie ne suffit pas ». Quand il parle de l'homme marionnette du temps, ses yeux prennent alors la couleur de l'automne. Il efface brusquement son sourire. Bruno Putzulu est un nostalgique doublé d'un mélancolique. S'il rentre tous les week-ends en Normandie pour jouer au football avec ses amis d'enfance, encouragé par son père de 85 ans, c'est aussi pour lutter contre le temps qui passe. "Je suis un résistant" plaisante-t-il.

Il reconnaît que le seul point commun avec ses amis de toujours se résume désormais à la passion pour le ballon rond. Ailleurs que sur le gazon, ils n'ont plus rien à se dire. C'est le signe que le temps est passé, murmure-t-il dans la forêt de ses yeux. Le temps qui a aussi agrandi son univers professionnel : d'abord acteur de théâtre, il est maintenant acteur de cinéma et de télévision. Est-ce le même métier? Sans hésiter, il acquiesce.

« La seule différence c'est qu'au théâtre on vieillit moins vite »
. Il aurait pu jouer Sganarelle il y a dix ans, il peut le jouer aujourd'hui et il pourra le jouer dans dix ans.
Bruno Putzulu écrit aussi. L'écriture est venue par accident, après une conversation avec son ami Johnny Hallyday. Suite à une conversation entre les deux hommes un soir de vague à l'âme de la star, le chanteur a dit à l'acteur qu'il aimerait bien une chanson sur cet échange. Bruno Putzulu a répondu à cette innocente phrase par une nuit passée à écrire ce qui est devenu la chanson "Ma vie".

Son livre d'entretiens avec son ami Philippe Noiret, c'est encore le hasard qui l'a orchestré. L'été d'une rupture amoureuse, il n'avait plus envie de travailler et passait ses journées chez le couple Noiret. Leurs conversations sur le cinéma adoucissaient son quotidien. Puis un jour, l'idée lui vient de coucher tous ces beaux échanges sur du papier. "Ce qu'il y a de jouissif dans l'écriture, c'est que je peux écrire quand j'en ai envie, contrairement au théâtre où je suis soumis au désir de mon employeur". Le livre est sorti en 2007 et aujourd'hui un éditeur lui demande d'écrire un roman. Mais Bruno Putzulu n'envisage pas d'écrire pour écrire, il faut que l'écriture parte de quelque chose d'intense. "Avec Philippe Noiret, parfois je ne dormais pas de la nuit tant c'était fort."

Il joue, il écrit... et il chante aussi. L'acteur sortira un album en mai. Son sourire reste discret. Ce sera un album de chansons à texte.

Nicolas Bedos

Il arrive à l’heure, les cheveux légèrement ébouriffés, sa chemise à peine ouverte et un large sourire sur les lèvres. Sourire que vient habiller une de ces cigarettes qu’il fume tant. « J’en fume dix par minute » plaisante-t-il. Nicolas Bedos est heureux. Avec ses deux pièces programmées pour octobre et janvier et le scénario des deux téléfilms de Josée Dayan déjà achetés par TF1, il peut l’être. 2010 sera son année.

A regarder de plus près son actualité, ce n’est plus lui « le fils de » mais son père, Guy Bedos, le « père de ». En effet, il lui confie de nouveau un rôle dans sa pièce « Le Voyage de Victor » (après Sortie de Scène). Il s’avère en réalité que les deux hommes se trouvaient en même temps dans une période de passage à vide et que leur collaboration s’est imposée d’elle-même comme une évidence. « Comme ça je profite un peu de lui » ajoute Nicolas Bedos en plongeant la piscine de ses yeux dans les vôtres.
Cette « période sombre » qu’il évoque du bout des lèvres, c’est celle qui a suivi le succès de sa pièce « Eva » avec Niels Arestrup en 2007. Le jeune homme avait derrière lui l'entame d'une carrière des plus prometteuses : d'abord scénariste pour Canal Plus, nommé deux fois aux Molières à 22 ans pour sa première pièce et une deuxième pièce qui a marché. Et puis du jour au lendemain, tout s’est arrêté, une pièce qu’il a écrite, réécrite mais qui n’a jamais été acceptée, un téléphone muet… Nicolas Bedos a connu le « vide ». Mais c’est désormais terminé, en témoigne à elle seule sa riche actualité.

D’ailleurs, n’a-t-il pas peur de s’épuiser avec deux pièces et deux téléfilms au compteur ? Il plaisante en vous répondant qu'il sort désormais comme le font les adolescents : seulement le samedi soir. Nicolas Bedos, travailleur ? Il se définit plutôt comme un paresseux : c’est parce qu’il a envie de se débarrasser vite des choses pour ensuite ne rien faire qu’il travaille beaucoup. A vous de lui objecter que précisément, il ne fait « rarement rien ». C’est son pulpeux sourire qui vous répond :
"Je suis un faux paresseux."
Il l’avouera beaucoup plus tard mais sa vraie crainte, c’est celle de la folie un jour. Il a tellement malmené son corps qu’il a eu peur de la « cuite de trop », se réveiller un matin sans verve ni esprit. Ainsi c’est cette peur que tout s’effiloche qui le guide dans ce travail forcené.
Il ne fait pas pour autant partie de ces "écrivains perpétuels" qui passent leur temps à écrire.
« Je suis torturé mais je ne suis pas un écrivain torturé. »
Ecrire, c’est l’étape la plus simple pour lui : il a seulement à se souvenir. Car Nicolas Bedos parle de sa propre vie dans ses pièces, il ne fait que la transposer et la rempoter dans d’autres corps : ceux de ses personnages. Sa dépression à 23 ans par exemple est devenue le suicide d’un homme de 60 ans dans Sortie de Scène.
Précisément, cette obsession pour les « vieux personnages » (dans deux de ses pièces comme dans le Voyage de Victor, le protagoniste est âgé) : traduit-elle une hâte de vieillir ? Il change de cigarette laissant deviner un sourire dans l’azur de ses yeux : « Une amie dit que j’ai soit douze ans soit soixante-dix ans. Je crois que je suis un mec de soixante-dix ans gâteux ! ». Pour lui, c’est surtout une question de génération : la génération actuelle est beaucoup moins préservée que ne l’étaient celles d’avant. Il n’y a plus cette forme de moralité qui protégeait. Une femme de 30 ans aujourd’hui a beaucoup plus vécu qu’une femme du XIXème siècle par exemple.
« Aujourd’hui, on n’est plus jeune très longtemps. »
C’est aussi une des raisons pour lesquelles il écrit beaucoup sur la mémoire. L’ingratitude vis-à-vis du passé est un thème qui lui tient particulièrement à cœur. Les deux personnages principaux de ses deux pièces souffrent d’amnésie. Ainsi dans Promenade de Santé, le personnage joué par Mélanie Laurent, une nymphomane en cure de désintoxication sexuelle, ne se rappelle jamais de ce qu’il a fait la veille ; cette virginité perpétuelle de l’esprit apparaît comme l’ultime palliatif du chagrin. Comme le dit Victor au tout début de la pièce Le Voyage de Victor :
« Il faudrait mourir après chaque histoire pour que la suivante ne porte pas le deuil de la précédente ».

Le mystère de ses personnages, il le cultive. Parce que "le théâtre est l'endroit du rêve", il situe un minimum ses personnages pour leur faire toucher de plus près l'Universel.

Et parce qu'écrire ne lui suffit pas, Nicolas Bedos met en scène et compose la musique de ses propres pièces. Un artiste complet, donc. Il s’est mis à toucher à tout très tôt, « j’étais le gamin qui avait envie d’épater ses parents ». C’était pour s’excuser de ne pas aller à l’école. Et draguer les filles.

Actualité :
Le Voyage de Victor (Théâtre de la Madeleine) dès le 20 octobre 2009
Promenade de Santé (La Pépinière) Janvier 2010
Les deux pièces sont publiées dans un seul livre chez Flammarion. (12 octobre 2009)

Blog :
http://nicolasbedos.blogspot.com/

Pierre Stasse

C'est l'histoire incroyable d'un jeune homme de 23 ans qui publie son premier roman chez Flammarion sans jamais n'avoir envoyé de manuscrit à la maison d'édition... Car ce n'est pas Pierre Stasse qui est venu à Flammarion, c'est Flammarion qui est venue à Pierre Stasse.
Il passe sa main dans ses cheveux en bataille et vous laisse percevoir un sourire dans la prairie de ses yeux :
"J'ai toujours eu beaucoup de chance"
De la chance il en a eue en se faisant repérer dans un concours de nouvelles organisé par Sciences Po. Sa nouvelle "Souvent je lui ai fait l'amour" lui a valu le premier prix et la flatteuse demande de Guillaume Robert (éditeur chez Flammarion) : un plus long texte. Le jeune homme avait dans ses tiroirs un manuscrit auquel il tenait particulièrement, manuscrit qu'il a retravaillé chaque mois pendant un an auprès de son éditeur pour se l'entendre refuser à chaque fois. Mais il s'agissait de doux refus, de ces refus confiants qui savent que le résultat viendra, qui ont la couleur de l'attente. Obstiné, Pierre Stasse? Après avoir réécrit tant de fois son texte sans qu'il ne convienne, il a décidé de l'abandonner pour en commencer un autre. 7 mois plus tard et Les Restes de Jean-Jacques furent sur le bureau de son éditeur. "Il m'a fallu 5 jours pour écrire la première moitié". Pour l'anecdote, c'est en voyant et achetant un cahier dans un souk tunisien que l'inspiration lui est venue...

Parlons-en de ce roman... "Fantasque" le style de Pierre Stasse, flirtant avec le surréalisme, réussissant un grand écart difficile entre poésie et acrimonie.
"Une fable futuriste et poétique, quelque part entre Boris Vian et Charles Bukowski" (Jacques Braunstein) GQ
Si l'auteur n'a pas le sentiment d'appartenir à une "famille d'écrivains", en revanche il admet faire partie de ces écrivains qui n'ont pas peur d'utiliser leur humour pour des sujets qui de prime abord ne s'y prêtent pas. Et lui de citer Kundera :
"L'humour est l'éclair divin qui découvre le monde dans son ambiguïté morale" (Les testaments trahis)
Grand lecteur, Pierre Stasse assume d'être "l'éponge inconsciente" de ses lectures. Il y a une douleur à lire des chefs d'œuvre comme Le Maître et Marguerite de Boulgakov , une question : "qu'est-ce que je fais là?"... Mais il faut dépasser cette question, l'extraire de son cerveau. Si les auteurs d'aujourd'hui ont une dette envers ces auteurs grandioses, il ne faut pas oublier qu'ils avaient eux aussi des dettes envers leurs prédécesseurs. Cette "lignée" des auteurs plaît au jeune écrivain; il y a quelque chose de noble à se dire que la littérature se "tient".

Puisque l'écrivain est toujours plus ou moins influencé par ses lectures... Faut-il forcément lire pour écrire?

Pierre Stasse admet la dimension culturelle de l'écriture mais il lui juxtapose une seconde dimension érotique. Il parle de ces périodes où l'écrivain est habité par une énergie érotique, d'une envie de faire l'amour, d'une énergie strictement sexuelle qui le pousse à écrire. Et en douceur, il relie "écrire" à désir. L'écriture est en elle-même physique, au même titre que la musique ou l'art en général.

L'auteur des Restes de Jean Jacques est à des lieues du cliché de l'écrivain torturé. Il ne s'imagine pas écrire en étant triste, cela exigerait le talent supérieur d'obvier à la tentation narcissique d'écrire sur ses propres tristesses.

Comment gère-t-il l'expérience toute nouvelle de la promotion du livre? L'après-écriture?

Il faut dire que le jeune homme est plutôt bien loti : les critiques dans leur grande majorité encensent le roman et le livre est d'ores et déjà en réimpression. Par ailleurs son éditeur Guillaume Robert fait réellement figure d'accompagnateur. Il suit l'écrivain dans les émissions de radio, dans les rendez-vous littéraires les plus infimes. "Il y a un côté famille" se plait à préciser Pierre Stasse. C'est au-delà du strict professionnel.

Mais devoir parler de son roman, en faire l'exégèse aux autres, n'est-ce pas un exercice difficile? Une défloration du livre?

Il reconnaît qu'il lui arrive de ne savoir que répondre à la question "Sur quoi porte ton roman?" mais il allonge son propos en citant Kant ; il n'est pas rare que le lecteur ait mieux compris un auteur qu'il ne s'est compris lui-même. Ainsi le livre ne s'arrête pas à sa dernière phrase, il cesse seulement d'appartenir à l'auteur. Il y a un "dessaisissement" qui s'opère. Douloureux? "Pas encore" répond-t-il.

Quels sont ses projets?

Il écrit déjà son nouveau roman. Il portera sur "les indifférences". Les différents personnages seront confrontés à leurs indifférences (sur le racisme, le sexe, la violence économique, la religion...) et devront faire des choix.

Et son état d'esprit? Est-il le même que lorsqu'il écrivait Les restes de Jean Jacques?
Sa perception a changé, il sait que les critiques seront plus exigeants. Le second roman est un exercice plus difficile, ce n'est pas un mythe. Il aborde donc l'exercice différemment. Mais sans douleur, toujours avec le désir brûlant de réussir. Car
"Il faut avoir faim."

Bibliographie :
- Nouvelle : Souvent je lui ai fait l'amour (2007) (Le Monde 2)
- Roman : Les Restes de Jean Jacques (2009) (Flammarion)

Florian Zeller


Romans, livret d'opéra, pièces de théâtre, court-métrage, paroles de chanson de Christophe... L’écriture de Florian Zeller épouse désormais toutes les formes. Serait-ce un moyen de ne pas se lasser de sa propre écriture ? Comme une jolie femme à laquelle on achèterait plein de jolies robes pour ne jamais s'ennuyer d'elle ?

Il attrape la question en écarquillant les yeux, tant les choses n'ont pas été calculées. Il s'agit au contraire d'aventure, de rencontres, du fait d'être disponible à un moment donné. Prenons l'exemple du livret d'opéra, c'était Françoise Sagan qui devait l'écrire mais ne pouvant le faire, elle a recommandé Florian Zeller. Puis la rencontre avec les acteurs (Gérard Depardieu notamment jouait dans cet opéra) lui a donné envie d'écrire pour le théâtre. L'enchaînement des événements semble si facile quand il en parle...
Aucun calcul non plus dans l'aventure musicale. C'est avant tout la rencontre avec Christophe, un artiste qu'il admire. Il n'éprouve aucun complexe à admirer. "Pour moi, admirer, c'est élever l'objet de l'admiration et celui qui admire."

Le hasard, donc, à chaque fois? Ne peut-on y voir une entremise du destin?

Le mot "destin" ne lui plait pas. Il ne pense pas que la vie ait un sens mais qu'il appartient à chacun de lui en donner un, à dimension seulement esthétique. Le roman, est l'endroit rêvé de cette fabrication de sens. Florian Zeller reprend l'exemple d' "Anna Karénine" : elle se donne la mort sous ce train, à l'endroit même où, au tout début du roman, le drame entre dans sa vie (quand elle aperçoit Vronski en descendant du train et qu'elle s'éprend de lui). On pourrait dire que c'est une vraie composition romanesque (composition circulaire et presque parfaite) et que ça ne correspond pas à la vie... Mais le roman, parce que c'est un art du montage et du détail permet justement de faire apparaître ce genre de coïncidences et de rapprochement. A l'inverse, le roman pourrait reprocher à l'individu de ne pas être assez réceptif à ces coïncidences quotidiennes et de se priver ainsi de la dimension esthétique de sa propre existence.

Son maintenant, c'est le théâtre... Florian Zeller reviendra-t-il au roman?

Il continuera à écrire des pièces jusqu'à éprouver la douleur de ne plus y arriver. Quand il évoque le théâtre, la lumière de ses yeux s'allume... et c'est la couleur de son regard qui s'offre à vous : l'éclat du soleil qui se mire dans une flaque d'essence. Bleu pétrole. Il parle de "vertige sans fin", de la "puissance incroyable" du moment des répétitions, du "très condensé de la vie" que l'on retrouve dans le théâtre.
Mais le roman reste son horizon. Cela va faire trois ans qu'il n'en a pas écrit ; il l'accepte car il en connaît la raison : il n'a pas envie d'écrire un roman pour les autres. Son prochain roman sera la somme de ce qu'il est aujourd'hui.

Est-il en train de l'écrire?

A chaque fois, le passage à l'écriture du roman s'est effectué différemment. Pour La Fascination du Pire, il avait l'impression que le livre était déjà écrit, qu'il était "à sa disposition", comme un objet que l'on devine dans la terre : il suffit juste d'être patient et de l'extirper. En revanche, pour les autres livres, le jeune écrivain avait plus l'impression de les écrire pour voir ensuite ce qu'il y avait dedans!
Pour ce dernier roman, c'est différent. Il le traîne avec lui depuis des années, il est dans sa tête. Il en profite alors pour faire une jolie œillade à Racine :
"Je l'ai fini, il ne me reste plus qu'à l'écrire."


Le romancier Zeller écrit toujours de la fiction. Est-ce pour se protéger du fantasme du lecteur, qui cherche toujours la vérité de l'auteur dans ses lignes?

Il y a toujours une part de soi dans le livre vous répond-t-il. La fiction et les confessions sont seulement deux travaux différents. Ainsi, même s'il s'agit de fiction, "je n'ai jamais déserté ce que j'ai écrit". "J'ai l'impression de saturer toutes les phrases de ma présence". L'écrivain se donne "en pâture". Les gens cherchent ce qu'ils veulent dans le livre et ils trouvent ce qu'ils veulent. Donc la fiction n'est pas du tout une protection de soi. C'est toujours violent. En écrivant, on donne le droit d'être lu. En fait,
"la planque rêvée c'est d'écrire sans être publié."


Mais n'écrit-on pas pour être lu, reconnu, avoir des prix? Savoir ce que l'on vaut?

Le fait de recevoir le Prix Interallié ne l'a pas rassuré sur sa "valeur". Car quelle notation prendre en compte? Si on prend l'exemple du théâtre, on peut avoir une très bonne critique et une salle vide. Ou des critiques assassines et une salle comble. Alors, quelle note prendre en compte? Et ça marche aussi pour une pièce dont les critiques seraient mauvaises et la salle vide. A qui donner le droit de noter? D'après lui, il est important d'avoir un cercle de personnes que l'on estime et écouter leurs avis. Le reste est tellement parasité par plein de choses... le succès, la presse...
"L'histoire de l'Art plaide pour son incertitude."


Florian Zeller, quelle est pour l'instant l'œuvre pour laquelle vous voudriez qu'on se rappelle de vous?
"Pour l'instant, j'aimerais plutôt qu'on m'oublie."
Et il enrobe ses dures paroles d'un doux sourire.

Œuvres :
- Opéra : l'adaptation française en 2004 de Háry János de Zoltán Kodály.
- Chanson : le dernier album de Christophe "Aimer ce que nous sommes" (2008)
- Court-métrage : "Nos dernières frivolités" avec Sara Forestier et Aurélien Wiik
- Théâtre : L'Autre (2004), le Manège (2005), Si tu mourais (2006), Elle t'attend (2008). "Elle t'attend" a été adaptée en Australie (2009), "Si tu mourais" à Hambourg et Bucarest (2009).
Florian Zeller vient de finir l'écriture de sa nouvelle pièce.
- Nouvelle "Le commencement de la fin" (2008) (J'ai Lu)
- Romans : Neiges artificielles (2002), Les Amants du n'importe quoi (2003), la Fascination du Pire (2004), Julien Parme (2006). (Flammarion)

Stéphane Million

D’abord, il vous fera penser à un pirate. Puis en vous rapprochant, vous verrez la lueur d’éternel enfant dans ses yeux et vous vous direz que c’est bien plus compliqué. Comme si Peter Pan et le Capitaine Crochet avait eu un fils. Caché.

- Je suis devenu éditeur malgré moi. Par hasard.

Il avait décidé d’être professeur d’Histoire (pour ne pas aller à l’armée). Quand le Net n’était encore que la curiosité de quelques uns, un ami lui a offert le logiciel Dreamweaver, lui permettant ainsi de créer son propre site internet. Un site internet, la belle affaire ! Mais « comme un pull qu’on porte uniquement pour faire plaisir à l’ami qui nous l’a offert », Stéphane a créé son site. Et il y a planté ses mots. Pion, il décrivait ses journées au lycée. Puis son site a commencé à être lu, les lecteurs à lui écrire. Quel type de lecteurs ? Un sourire lui ourle les lèvres quand il se rappelle d’un mail sublime le félicitant pour son site. Alors il avait demandé au lecteur par quel chemin il avait trouvé ses lignes. L’homme avait hésité, gêné puis confessé que c’était en tapant « grosses loches » dans son moteur de recherche… Sans forcément emprunter le chemin des « grosses loches », de jeunes auteurs déjà publiés l’ont contacté. Petit à petit, il est devenu l’ami des écrivains.
Dans le même temps un livre a tout remué en lui : « L’Apologie de la Viande » en 1999 de Régis Clinquart. Et pour la première fois, il a eu envie de lire des « auteurs vivants ». Il se rappelle de leur rencontre, lors de l’emménagement de Clinquart où il avait dû mettre la main à l’enduis. « Il doit toujours avoir mes pots d’enduis chez lui d’ailleurs ».

Ce blog qui lui permettait de combler un vide, il l’a subitement arrêté en 2003. Parce qu’il l’avait commencé en écrivant « pénard » et que le phénomène a fini par le dépasser. Viré de son lycée pour avoir tenu des phrases injurieuses sur un des CPE, il a ensuite pu laisser s’écrire le nouveau chapitre de sa vie. A Flammarion, grâce aux amitiés tissées avec son blog. Un enchaînement de circonstances.

Grâce au vivier créé par sa revue Bordel uniquement sur le web, il proposait des auteurs à Flammarion. C’est ainsi que Christophe Rioux après avoir écrit une nouvelle dans Bordel, a « agrandi le format » dans un roman pour Flammarion (Des croix sur les murs).
« J’étais un peu le mec qui partageait une jolie fille avec un copain ». La jolie fille, c’était Flammarion. Tous les auteurs que je détectais ont eu une histoire avec Flammarion… Stéphane Million, un proxénète ? « Non, parce que je le faisais gratuitement. Pour le plaisir ».

Ce qui nous amène directement au nom de la revue : Bordel. Pourquoi un nom si racoleur ? « J’hésitais entre Bordel et Grabuge ». Grabuge à cause du projet de revue d’Aragon et Drieu qui n’a jamais vu le jour. Mais Grabuge ne sonnait pas si bien, alors j’ai opté pour Bordel parce que le projet d’Aragon avait été imaginé dans un bordel. Le titre a plu à mon ami Beigbeder. « Bordel », c’est tout l’univers des prostituées et proxénètes mais c’est aussi le « foutoir » qui n’est pas forcément du désordre.

Puis les choses ont changé. Beigbeder quittant Flammarion, Million était de moins en moins écouté lorsqu’il présentait de jeunes auteurs comme Barbara Israël ou Matthieu Jung. « Je retrouvais les manuscrits entre les mains de stagiaires. » Blessé par ce manque d’écoute, il est devenu Directeur de Collection chez Scali. Là-bas, il peut publier tous ses auteurs coups de cœur sans aucune embûche. Puis l’euphorie du début devient une douloureuse gueule de bois lorsqu’il réalise qu’il ne s’agit pas d’une liberté de confiance mais de la politique de l’éditeur : publier beaucoup - donc n’importe quoi - dans le seul but d’obtenir des avances du distributeur. Finalement, Stéphane Million envoyait directement les livres de ses auteurs fétiches "à l’abattoir". Car avec seulement un attaché de presse pour une pléthore de livres, le livre se retrouvait vite livré à lui-même.

Nouveau rebondissement de situation : la grand-mère de notre directeur de collection désabusé a vendu une vieille forge. Avec cet argent, Stéphane a pris un risque : celui de devenir éditeur indépendant.

D’abord, il a perdu de l’argent en éditant douze livres la première année. Mais c’est le passage obligé : celui de commencer.

L’ironie du sort, c’est de voir les auteurs refusés par Flammarion, et ensuite publiés par Stéphane Million Editeur, maintenant édités chez Flammarion. Comme Barbara Israël (éditée par Guillaume Robert). La preuve qu’il avait raison.

Est-ce une souffrance de voir les auteurs s’émanciper de sa maison d’édition ? Non, pas du tout. « Je suis l’incubateur ». « Je n’ai pas les moyens de les faire rester ». Stéphane Million n’a pas tout le « decorum » des grandes maisons d’édition pour les faire rester (un service marketting, un attaché de presse). Car même si son service de presse (grâce à son travail de relations publiques) peut rivaliser avec les grandes maisons, le problème reste la distribution.

Alors quand un auteur part, il est content pour lui. Parce que ce sont ses amis. Les violents coups de cœur qu’un jour il a eus. Face aux grandes surfaces de l’édition, il est le « petit charcutier de la rue Lepic », sûr de la qualité de ses produits qu’il sait où aller chercher.

Mais comment définir le coup de cœur ?
« C’est quand on entend la voix de l’auteur. »
C'est au-delà du style, c'est au-delà de l'histoire. Comme quand on tombe sous le charme d'une fille. Ses mensurations nous plaisent mais ce ne sont pas uniquement ses mensurations qui nous chavirent. On peut rencontrer l'instant d'après une fille aux mêmes mensurations, ça ne nous fera pas le même effet. C'est au-delà des mensurations. C'est presque mystérieux. C'est un petit truc en plus qu'il est impossible de décrire ou de définir.

Cela va faire un an que Bordel existe en format papier et la petite entreprise Million tient bien sa barque à contre-courant des grandes. « Il y a en ce moment une surproduction des livres, qui continue en format-poche, et qui se double d’une sous-qualité ». Cela permet aux grands noms de l’édition de réaliser des économies d’échelle et de rentabiliser les pertes en faisant du poche. Au détriment des petits éditeurs. Mais Stéphane Million n’est pas un petit éditeur comme les autres. Grâce à ses réseaux d’auteurs, il a accès à des personnes plus influentes. Mais rares sont les personnes haut placées qui tendent la main vers plus petit qu’eux. Avec mes relations, "j’ai seulement gagné le privilège du non » s’amuse-t-il.

A noter : 42 ans plus tard, la charcuterie rue Lepic est toujours là...


Boutique en ligne :

http://stephanemillionediteur.fr/

Prochaine parution de la revue Bordel (numéro 11) : le 8 octobre 2009. (http://revuebordel.blogspot.com/)
Prochain roman publié par Stéphane Million Editeur : En moins bien d’Arnaud Le Guilcher : le 8 octobre 2009.