Interview de Jean-Paul Lilienfeld (la Journée de la Jupe)


NOMINATION AUX CESAR

«Finalement, nous sommes récompensés»


Le film, qui a failli ne jamais voir le jour, se retrouve aujourd'hui nommé aux César dans la catégorie du meilleur film, du meilleur scénario et de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani. D'abord diffusé sur Arte, son succès lui a ensuite permis de passer au cinéma et maintenant de faire le tour du monde. A la fois film de genre et film social, La Journée de la Jupe dénonce à travers une prise d'otage dans un collège difficile, le mauvais traitement des jeunes femmes de banlieue. Le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld revient pour nous sur le succès non annoncé de son film.

AC : Le collège dans le film est une mini société; on y retrouve tous les problèmes sociaux actuels liés à l'éducation, la religion, la place des femmes, le conflit générationnel...

Jean Paul Lilienfeld : L'école est souvent traitée comme un sanctuaire alors que l'élève qui passe les portes de son lycée n'entre pas vierge de ce qu'il a vécu avant. A l'école se croisent les problèmes de chacun. Par ailleurs il ne s'agit pas dans mon film de toutes les écoles mais d’une classe dans une école. C'est un concentré de réalité. Destiné à poser le problème sur la table.

Le film est en train de devenir un outil de pédagogie, vous aviez la volonté d'en faire un film utile?

Deux académies ont pris la décision de diffuser le film dans le cadre des «mercredis du cinéma» au collège. Quand j'ai écrit le scénario, je n'avais pas la volonté de faire un film utile. Je me méfie de ceux qui prétendent faire du cinéma pour être utile ; autant travailler pour une ONG dans ce cas. Je voulais évoquer ces thèmes notamment en raison de mon histoire personnelle. J'ai vécu jusqu'à mes dix-huit ans à Créteil et l'école a joué pour moi le rôle d'ascenseur social. Je sais comment était l'école à mon époque et comment elle a évolué. Avant la haine allait d'un individu à l'autre, maintenant elle va d'un groupe à un autre, selon les origines ethniques ou religieuses.

Qu'est-ce qui a déclenché l'écriture du film?

Un reportage à la télévision lors des émeutes des banlieues en 2005. Une mère disait qu'elle se couchait tous les soirs devant la porte pour empêcher ses fils de sortir, et que dès qu'elle s'endormait, ils l'enjambaient pour aller dans la rue. Puis suivaient des images cocktails Molotov contre CRS et soudain une chose m’a frappée : Il n’y avait pas de filles sur les images.Où étaient-elles? N'étaient-elles pas en colère? Ou n'avaient-elles pas le droit de sortir ? Dans le film je montre ces filles.


A quel moment avez-vous pensé à Isabelle Adjani pour le rôle?

Je ne pensais à personne en particulier au moment de l'écriture. Ensuite est venue l'idée d'Isabelle Adjani parce qu'elle est une comédienne hors normes ; je n'ai même pas songé au début à ses origines. C'est apparu ensuite comme une évidence. Et elle a dit oui très vite.

Dans quelle mesure y a-t-il eu un «effet Adjani» sur le film?

On ne peut jamais savoir comment les choses se seraient passées autrement. Il y avait deux tendances : la joie pour les uns de la retrouver dans un film et le cynisme des autres évoquant un «éternel retour». Petit à petit le buzz est devenu essentiellement positif.

Vous sentiez que vous étiez en train de réaliser un film à César?

Je ne pouvais pas l'imaginer. Le film a été très difficile à monter, je ne trouvais aucun financement, à chaque fois il était refusé avec les compliments du jury. Ils aimaient le film mais ils le trouvaient trop sensible. Le film était la boîte à projection des fantasmes de chacun. Ils avaient peur de ses conséquences, de la polémique qu'il pourrait nourrir. Certains craignaient même une Fatwa. Finalement le film a été financé par Arte et, par conséquent, a été diffusé par la chaine en premier. Puis il a été sélectionné pour le Festival de Berlin ce qui nous a ouvert les portes des salles de cinéma.

Que change pour vous la nomination du film aux César?

Rien. Disons que j'ai eu de nouveaux amis et d'anciens nouveaux amis! Grâce à la nomination, j'aurai sans doute une oreille plus attentive pour le financement de mon prochain film. Mais s'il est à nouveau à risque industriel, les distributeurs ne le prendront pas ; c'est un raisonnement statistique, ils ont plus à perdre qu'à gagner en finançant de tels films.

Comment expliquez-vous le succès populaire du film?

La forme ludique du film permet au téléspectateur d'être partie prenante. Je voulais attraper les spectateurs émotionnellement. Ensuite il y a le fond, le film dit les choses telles qu'elles sont sans sortir l'habituelle boite à dogmes.

Sur quoi sera votre prochain film?

Mon nouveau film est au stade d'ébauche, il raconte l'histoire de deux femmes. J'y travaille depuis seulement deux mois car j'ai passé toute l'année dernière à accompagner «La journée de la jupe» partout dans le monde. J'ai été surpris de voir que même en Sibérie le film a parlé aux téléspectateurs. Ils m'ont expliqué qu'il y a des travailleurs immigrés Ouzbeks et Turkmènes en Sibérie. Ils y sont appréciés car musulmans, ils ne boivent pas d'alcool, ce qui est très appréciable au pays de la Vodka. Mais les mêmes phénomènes de racisme et de circuit fermé se reproduisent là comme ailleurs. De simple téléfilm au départ, le film est devenu un film qui a traversé nos frontières, il va bientôt passer aux Etats Unis dans quelques salles. Comme me disait Isabelle Adjani l'autre jour, l'histoire de ce film est très morale, ce qui est rare d'ordinaire ; nous nous sommes donnés beaucoup de mal et finalement nous sommes récompensés.

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