Pierre Stasse

C'est l'histoire incroyable d'un jeune homme de 23 ans qui publie son premier roman chez Flammarion sans jamais n'avoir envoyé de manuscrit à la maison d'édition... Car ce n'est pas Pierre Stasse qui est venu à Flammarion, c'est Flammarion qui est venue à Pierre Stasse.
Il passe sa main dans ses cheveux en bataille et vous laisse percevoir un sourire dans la prairie de ses yeux :
"J'ai toujours eu beaucoup de chance"
De la chance il en a eue en se faisant repérer dans un concours de nouvelles organisé par Sciences Po. Sa nouvelle "Souvent je lui ai fait l'amour" lui a valu le premier prix et la flatteuse demande de Guillaume Robert (éditeur chez Flammarion) : un plus long texte. Le jeune homme avait dans ses tiroirs un manuscrit auquel il tenait particulièrement, manuscrit qu'il a retravaillé chaque mois pendant un an auprès de son éditeur pour se l'entendre refuser à chaque fois. Mais il s'agissait de doux refus, de ces refus confiants qui savent que le résultat viendra, qui ont la couleur de l'attente. Obstiné, Pierre Stasse? Après avoir réécrit tant de fois son texte sans qu'il ne convienne, il a décidé de l'abandonner pour en commencer un autre. 7 mois plus tard et Les Restes de Jean-Jacques furent sur le bureau de son éditeur. "Il m'a fallu 5 jours pour écrire la première moitié". Pour l'anecdote, c'est en voyant et achetant un cahier dans un souk tunisien que l'inspiration lui est venue...

Parlons-en de ce roman... "Fantasque" le style de Pierre Stasse, flirtant avec le surréalisme, réussissant un grand écart difficile entre poésie et acrimonie.
"Une fable futuriste et poétique, quelque part entre Boris Vian et Charles Bukowski" (Jacques Braunstein) GQ
Si l'auteur n'a pas le sentiment d'appartenir à une "famille d'écrivains", en revanche il admet faire partie de ces écrivains qui n'ont pas peur d'utiliser leur humour pour des sujets qui de prime abord ne s'y prêtent pas. Et lui de citer Kundera :
"L'humour est l'éclair divin qui découvre le monde dans son ambiguïté morale" (Les testaments trahis)
Grand lecteur, Pierre Stasse assume d'être "l'éponge inconsciente" de ses lectures. Il y a une douleur à lire des chefs d'œuvre comme Le Maître et Marguerite de Boulgakov , une question : "qu'est-ce que je fais là?"... Mais il faut dépasser cette question, l'extraire de son cerveau. Si les auteurs d'aujourd'hui ont une dette envers ces auteurs grandioses, il ne faut pas oublier qu'ils avaient eux aussi des dettes envers leurs prédécesseurs. Cette "lignée" des auteurs plaît au jeune écrivain; il y a quelque chose de noble à se dire que la littérature se "tient".

Puisque l'écrivain est toujours plus ou moins influencé par ses lectures... Faut-il forcément lire pour écrire?

Pierre Stasse admet la dimension culturelle de l'écriture mais il lui juxtapose une seconde dimension érotique. Il parle de ces périodes où l'écrivain est habité par une énergie érotique, d'une envie de faire l'amour, d'une énergie strictement sexuelle qui le pousse à écrire. Et en douceur, il relie "écrire" à désir. L'écriture est en elle-même physique, au même titre que la musique ou l'art en général.

L'auteur des Restes de Jean Jacques est à des lieues du cliché de l'écrivain torturé. Il ne s'imagine pas écrire en étant triste, cela exigerait le talent supérieur d'obvier à la tentation narcissique d'écrire sur ses propres tristesses.

Comment gère-t-il l'expérience toute nouvelle de la promotion du livre? L'après-écriture?

Il faut dire que le jeune homme est plutôt bien loti : les critiques dans leur grande majorité encensent le roman et le livre est d'ores et déjà en réimpression. Par ailleurs son éditeur Guillaume Robert fait réellement figure d'accompagnateur. Il suit l'écrivain dans les émissions de radio, dans les rendez-vous littéraires les plus infimes. "Il y a un côté famille" se plait à préciser Pierre Stasse. C'est au-delà du strict professionnel.

Mais devoir parler de son roman, en faire l'exégèse aux autres, n'est-ce pas un exercice difficile? Une défloration du livre?

Il reconnaît qu'il lui arrive de ne savoir que répondre à la question "Sur quoi porte ton roman?" mais il allonge son propos en citant Kant ; il n'est pas rare que le lecteur ait mieux compris un auteur qu'il ne s'est compris lui-même. Ainsi le livre ne s'arrête pas à sa dernière phrase, il cesse seulement d'appartenir à l'auteur. Il y a un "dessaisissement" qui s'opère. Douloureux? "Pas encore" répond-t-il.

Quels sont ses projets?

Il écrit déjà son nouveau roman. Il portera sur "les indifférences". Les différents personnages seront confrontés à leurs indifférences (sur le racisme, le sexe, la violence économique, la religion...) et devront faire des choix.

Et son état d'esprit? Est-il le même que lorsqu'il écrivait Les restes de Jean Jacques?
Sa perception a changé, il sait que les critiques seront plus exigeants. Le second roman est un exercice plus difficile, ce n'est pas un mythe. Il aborde donc l'exercice différemment. Mais sans douleur, toujours avec le désir brûlant de réussir. Car
"Il faut avoir faim."

Bibliographie :
- Nouvelle : Souvent je lui ai fait l'amour (2007) (Le Monde 2)
- Roman : Les Restes de Jean Jacques (2009) (Flammarion)

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