1H15 avec Nicolas Bedos


"Je suis un hyperactif provisoire"

Il a l'art de balancer les pires saloperies sans quitter sa poésie et son charmant sourire. En ce moment Nicolas Bedos est le regard ténébreux du PAF... Un coca zéro, un criterium à la main, interview.


Depuis notre dernière interview, un an s'est écoulé. Nicolas Bedos, si cette année mytho était à refaire vous la referiez ?

Oui ça a été beaucoup de gratification et pas mal de travail ! C'est très équilibrant, en fait, le succès. Avec
"Promenade de santé", j'ai été satisfait du travail que nous avons accompli. Je n'ai aucun regret : le spectacle a été conforme à mon rêve. J'avais connu pas mal de galères, monté des pièces qui m'avaient déçues, fait des concessions de castings... Là j'ai eu tout ce que je voulais. Et puis c'est un spectacle enfanté dans le plaisir. Et la considération qui va avec est agréable. Quand on est flippé et boulimique comme moi, ça donne le courage de continuer. Mais ça fait aussi peur, je vais prendre mon temps avant ma prochaine pièce, je veux faire ça bien.


Vous espérez un triomphe au moins aussi grand ?


Il ne faut pas courir après le triomphe. Il faut se demander ce qu'on a à dire. On me dit souvent que je travaille trop. C'est vrai. Mais il y a eu plusieurs années durant lesquelles on ne m’a pas permis de m’exprimer, alors aujourd'hui, j'en profite !


En ce moment cette énergie est polarisée sur la télé, vous faites une chronique tous les vendredis soirs chez FOG dans
"Semaine critique". Est-ce que la télé n'est pas en train de pomper votre énergie au détriment du théâtre ?


Les premières semaines, ça m'a tout pompé, oui !
Heureusement, j'avais commencé à écrire cet été. J'ai écrit beaucoup de téléfilms ces dernières années, je vais d'ailleurs bientôt jouer le mari de Julie Depardieu (ndlr dans un film qu’il a écrit pour Jeanne Moreau, Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, réalisé par Josée Dayan). Je fais un peu l'acteur car je souffre du syndrome du mec qui va perdre ses cheveux et qui profite d'être encore à peu près regardable !

Vous en êtes où de vos cheveux ?


Ils tombent, de façon significative ; je vais y remédier !


Vous envisagez des implants ?


Je vous en pose des questions ! Oui, sans doute, je n'ai pas envie d'avoir la tête d'Alain Juppé. J'assume ma coquetterie ; il faut qu'on ait une tête en adéquation avec ce que l'on est.


Et vous vous concevez chevelu...


Disons que je n'ai pas totalement renoncé à la séduction.


Vous faites tellement de choses qu'on a l'impression que vous vous rentabilisez au maximum !


C'est un mot terrible,
« rentabiliser » ! Non ! Mais je ne veux pas passer à côté de ma relative jeunesse. Quand j'aurai 50 piges, ça me fera des souvenirs.


Mais vous
n'avez pas peur de vous user avant 50 ans ?


Je suis un hyperactif provisoire. A un moment donné, il faudra que je freine. Je n'ai pas envie de courir toute ma vie, le mardi rendre ma nouvelle, le mercredi écrire un téléfilm, le jeudi rendre ma chronique, en plus des interviews…


Comme maintenant !


Exactement ! Ceci dit, ca a un côté psychanalyse, les interviews. Cet après-midi j'en ai fait une pour
Le Monde. C'est indécent de parler de soi... même si ça permet d’y voir plus clair. Mais je n'ai pas envie de vivre cette vie-là trop longtemps. Dans vingt ans je me vois romancier, metteur en scène de théâtre, peut-être un peu de cinéma, mais à un rythme régulier et plus sage.


Le cinéma ?


J’ai un projet avec la société de production d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Ce sera une comédie dramatique. Un "film d'auteur hollywoodien" – ce qui ne veut rien dire ! Je réfléchis à l'écriture d'un scenario tarantinesque avec des dialogues bergmaniens. Ce sera le délire d'un homme plongé dans plusieurs réalités, un film sur la paranoia et la précarité.


Vous écrivez beaucoup sur les troubles du comportement...


Oui, je ne suis pas l'homme le plus équilibré de la terre... Je m'inspire de ce que j'ai vécu.


Vous voulez dire que vous avez été « nymphomane, mythomane, paranoiaque et
toxicomane » ?


Tout à fait, un peu de chaque ! J'ai pioché dans les plats...! Mais je ne vais pas prétendre que je suis alcoolique, comme je l'ai lu ici ou là, ce serait prétentieux de ma part : je ne sors qu’une fois par semaine ! Mais les troubles du comportement ne me sont pas étrangers. Disons que de 20 à 24 ans, mes nuits ont été rock n roll !


La folie a donc quelque chose d'universel ?


Je pense. Beaucoup de gens se sont reconnus dans les personnages joués par Mélanie Laurent et Jérôme Kircher dans
"Promenade de santé", ça les a touchés même s'ils ne sont heureusement jamais allés aussi loin.


Alors on a tous des embryons de folie ?


Oui, nous sommes tous tarés dans de petites proportions.


Revenons-en à la télé où vous officiez actuellement.
Vous n'avez pas eu peur à un moment, vous, l'auteur et le metteur en scène fiévreux et talentueux, de vous « prostituer » ?


Je continue à me poser la question. Il est certain que ce genre d'exercice entame le mystère qu’un auteur devrait préserver : on n'a jamais vu Tennessee Williams faire le con à la télé tous les vendredis soirs ! Mais ça me fait connaître d’un public plus large et c’est nécessaire de se faire connaître. Ca me permet de monter plus facilement des pièces, des films. Après tout, les acteurs ne doivent pas avoir le monopole de la notoriété ! Et puis je n'ai pas à rougir de mes chroniques, je les revendique. Ca reste un véritable travail d'écriture. Après, est-ce que dans le regard du téléspectateur, je suis un écrivain ou un animateur... ? Je n'en sais rien. Ce qu'il y a de commun entre les deux, c'est le goût des mots, le travail sur la phrase. Et certains thèmes abordés.


Dans un article du JDD, le linguiste Pierre Merle dit que vous avez la
« vanne ultrabranchée »...


Disons que je dois faire une synthèse un peu étrange entre un plateau très littéraire, pointu avec des intellos et mon souci de causer aux gens de ma génération. Ca crée un mix. On m'a dit que je m'arrangeais toujours pour alterner une phrase poétique avec une phrase vulgaire. Ce n'est pas faux. Quand j'écris, je pense au public – un public idéal. Comme je sais que j'ai une tendance à la phrase alambiquée, poétique -voire pédante- au milieu j'insère une saloperie ! Ca me ressemble plus comme ça !


C'est le style "Nicolas Bedos" ! Il y a un verbiage chez vous, on a l'impression que vous goûtez les mots, que vous prenez plaisir à les prononcer...


Mon interprétation n'est pas travaillée, elle est ressentie. Je cherche une certaine musique, souvent je ne peux pas rajouter ni ôter le moindre mot car la phrase se tient ainsi !


Avec le récit de vos soirées et ces superbes filles auprès desquelles vous dites vous réveiller, vous entretenez le mythe...


J’invente à 80 %. Je ne prends même pas de coke ! C'est à la fois une fiction et une façon de couper court à la moquerie des autres, à leurs préjugés…


Vous préférez vous donner vous-même les coups plutôt que de laisser les autres le faire !


Ca a plus de gueule! C’est de la malice de ma part, et de la franchise. Comme dit Cyrano
:

«
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve"


Vous vous jouez des codes de la télé : allusion au prompteur, nonchalance, politiquement incorrect... Vous nous rappelez que vous avez été parachuté dans ce monde-là mais que vous avez un autre métier…


Oui ! Ce qui me rend plus à l’aise, c'est que je ne vis pas de ça, et encore moins pour ça. Donc si c’est mauvais, je disparais. Paradoxalement, ça m’offre un certain confort.


Il y a un an, on parlait de la peinture. Vous la gardez toujours pour votre sphère privée ?


Oui.


Ca vous vient d'où ?


Petit, mes parents m'avaient acheté ce gros bloc de papier avec deux crayons géants, je faisais des portraits, des caricatures. En classe, quand je m'ennuyais je dessinais. Donc je dessinais toute la journée! Là, je dessine.


Vous dessinez quoi ?


Un type mal dans ses pompes avec une moustache, à moitié chauve, et le regard très féminin.


Ca, c'est parce qu'on a parlé de cheveux tout à l'heure... Vous lisez quoi en ce moment ?


Le dernier Houellebecq, ce qui n'est pas original ! Ca ne me rend pas très heureux, ces pages. Je m'aperçois que je suis beaucoup trop romantique pour cette littérature. Les personnages ne s'aiment pas les uns les autres !


Votre humeur, là, maintenant...


Plutôt cool, détendu. Heureux d'avoir écrit mon truc pour vendredi et ma nouvelle pour l'Officiel. Je peux passer aux choses plus sérieuses !

C'est bon, vous êtes à jour, vous pouvez partir en week-end !

Non ! J'ai le film dont on a parlé et ma prochaine pièce qui est loin d’être aboutie !

Sur quoi la pièce ?

Ce sont des personnages qui se font passer pour d'autres, qui prennent de fausses identités. Le gardien d’une grande maison de vacances fait croire qu'il en est le propriétaire à une jeune touriste qui se fait passer pour une grande actrice alors qu'en fait c'est une paumée du village d’à côté. Ils se mentent tous entre eux, et à eux-même évidemment, ils ont envie d'être quelqu'un d'autre.

Ce sera avec qui ?

Théâtre et cinéma confondus, j'écris pour cinq personnes, Jean-Pierre Bacri, Catherine Frot, Jean Dujardin, Jérôme Kircher et Mélanie Laurent.

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