Il
l'appelle son « tailleur Chanel », Pierre Hermé sort une
collection de pâtisseries autour de sa pièce fétiche : l'Ispahan.
L’association rose-framboise-letchi est réinterprétée sous toutes
les formes : du croissant au cheesecake en passant par le Paris-Brest
et la confiture. Rencontre avec le chef dans son bureau parisien un
après-midi de pluie.
Un
plateau de macarons à portée de main.
La
pâtisserie, c'est une histoire de famille. Votre père était
pâtissier. S'il avait été patineur artistique, vous auriez fait
comme lui ?
C'était
le seul moyen de voir mon père : j'allais dans sa pâtisserie, et en
le voyant travailler, cela m'a donné envie. À 9 ans, je voulais
devenir pâtissier ! Je ne pensais qu'à ça. Donc à 14 ans, après
le BEPC, j'ai commencé à travailler auprès de Gaston Lenôtre à
Paris.
Comment
devient-on le meilleur ?
Je
n'avais qu'une seule peur : que Gaston Lenôtre me renvoie chez moi !
Je voulais tout faire et je le faisais savoir. J'avais une soif
d'apprendre. Je potassais des bouquins. Quand j'y repense, j'ai
envisagé mon métier de pâtissier comme on fait des études. On va
en cours puis on continue d'apprendre chez soi, par la lecture
notamment, pour compléter la formation. C’est ce que j’ai fait.
Lenôtre,
vous dites que c'était un excellent patron, au charisme débordant.
Oui,
Il était paternaliste. J'ai appris avec lui ce qu'était la rigueur,
le sens de l'organisation, l'importance de la qualité des produits.
Les bases de mon savoir-faire d'aujourd'hui. Mon socle de références.
Vous
dites-vous parfois que vous êtes peut-être en train de former le
Pierre Hermé de demain ?
C'est
déjà fait ! J'ai formé une bonne partie des pâtissiers dont on
parle aujourd'hui. Christophe Michalak. Frédéric Bau. Christophe
Felder.
Vous
êtes passé par Lenôtre, Fauchon, Ladurée... Quand avez-vous pris
la décision de créer votre propre marque ?
J'ai
voulu créer ma propre entreprise pour pouvoir faire mon métier tel
que je le conçois, tel que j’en ai envie. Quand on travaille pour
une maison, il y a forcément des contraintes liées à son histoire,
à son style. Notre volonté avec mon associé et cofondateur Charles
Znaty, n'était pas d'ouvrir une pâtisserie mais de créer une
marque de luxe dans le domaine de la pâtisserie. Ce qui, en 1996,
n'existait pas.
Il
vous fallait créer votre maison pour être audacieux ?
L'audace,
j'en ai toujours eue. Lorsque j'ai créé le gâteau Paradis chez
Fauchon, par exemple. Ça fait partie de ce que je suis. C'est basé
sur une grande curiosité. Je m'intéresse au vin, à la parfumerie,
à la mode, au design, à la peinture contemporaine...
Tout
est source d'inspiration ?
Ça
peut être une conversation, une lecture, une rencontre. Par exemple,
un jour dans le Figaro Madame, j'ai lu un article sur une agence qui
fabrique des végétaux stabilisés. Je les ai rencontrés, et nous
avons créé une boite Initiation aux macarons avec un parterre
végétal au centre. Mais la plupart du temps, le déclencheur est un
ingrédient.
INITIATION
LES JARDINS • Coffret 20 macarons • 72,00 €
Vous
essayez de goûter tout ce qui est possible et imaginable ?
Ce
n'est pas une démarche proactive, il y a une part de hasard et de
curiosité. Je me rappelle, lors d’un voyage en Islande, que l’on
m'avait proposé de la baleine, et même si je suis contre le fait
qu'on tue les baleines, j'ai goûté. Il y avait aussi une patte de
phoque dans du lait tourné, c'était horrible. Dernièrement, j'ai
découvert un fruit péruvien, le Lucuma qui a un goût de
réglisse... Je vais en faire quelque chose.
La
recette prend du temps à mûrir dans votre esprit ?
Parfois,
c'est spontané. Quand j'ai travaillé sur le café, quelqu'un m'a
dit qu'il mettait toujours de la fleur d'oranger dans son café. J'ai
essayé. J'ai fait un macaron café, fleur d'oranger et compote
d'orange confite. C'est délicieux !
Macaron
JARDIN DU SULTAN • Café, Fleur d’Oranger, Orange confite •
Septembre 2014
Café,
fleur d’oranger et orange confite. Des notes d’Orient que Pierre
Hermé réveille avec délicatesse dans ce macaron à l’allure
souveraine. Une succession de goûts. Au palais, le café attaque
pour mieux se laisser taquiner par l’exubérance de l’orange.
Puis, la fleur d’oranger impose son parfum et reste longtemps ...
Un délice.
La
baleine ne vous a rien inspiré ?
(rires)
Non ! On dirait du bœuf d'ailleurs.
J'ai
lu que la composition chez vous était d'abord mentale.
(il
sort un gros classeur de son placard) Je
fais des schémas, plusieurs pistes, des dessins. Lorsque j’ai une
idée en tête, je réalise un croquis, j’écris la recette, et je
partage l’ensemble ensuite à mes équipes qui se chargeront des
essais.
Et
vous conservez tous les brouillons ?
Je
les ai tous gardés depuis 1984 !
C'est
votre Bible en fait ! Une ébauche de 1984 pourrait devenir une
recette aujourd'hui ?
Oui.
En 2004, j'avais voulu faire un cake au fruit de la passion et au
chocolat au lait. Quand je l'ai goûté, je ne l'ai pas trouvé
intéressant. Et c'est l'an dernier que j'ai trouvé la solution.
J'ai ajouté du fruit de la passion séché et j'ai mis une couche de
ganache épaisse sur le cake. Lorsque je découvre un nouvel
ingrédient, il m’arrive de modifier une recette pour la faire
évoluer, même si je la trouve formidable telle quelle.
Votre
chef d'oeuvre, l'Ispahan, il pourrait évoluer ?
C'est
le cake Ispahan qui me plait moins en ce moment. Je réfléchis, je
retravaille la réinterprétation de l’équilibre des saveurs et
son apparence.
Mais
le gâteau Ispahan, vous n'y touchez pas !
Ce
serait difficile de faire mieux.
C'est
difficile d'atteindre la perfection ?
Je
déteste la perfection.
Alors
si ce n'est pas parfait, qu'est-ce que c'est ?
C'est
bon ! (rires) La différence entre la perfection et le souci du
détail est très importante. Le souci du détail permet de
s'autoriser des surprises alors que la perfection a quelque chose
d'aliénant et de systématique qui me dérange.
Une
des particularités de la maison Hermé, c'est le sur-mesure : un
fantasme ?
Nous
avons eu des demandes de gens qui voulaient avoir des choses
spécifiques, pour une certaine occasion par exemple. Donc nous avons
pensé à la possibilité de réaliser son propre macaron, avec une
recette qui appartient au client.
La
demande la plus folle ?
Une
demande de macaron au cigare. J’ai alors créé un macaron à base
d'infusion de tabac de cigare que j'ai associée à une réduction de
whisky pur malt et à du chocolat. C'est délicieux. L’ensemble a
un côté très confit, quand je le goûte, ça me donne une poussée
de chaleur !
C'est
un macaron qu'on ne goûtera jamais ? Vous ne pouvez pas le
commercialiser ?
Non,
on se l'interdit. La recette appartient exclusivement à celui qui en
a fait la demande.
Le
sur-mesure, c'est possible pour tous vos produits ?
Oui,
cela marche aussi pour les gâteaux. Carole Bouquet par exemple a son
entremets, aux poires, figues et pêches.
Vous
ne voulez pas goûter un macaron ?
(Sur
le plateau : dix macarons)
Si
si ! C'était pour ne pas vous parler la bouche pleine ! Quel est
votre macaron préféré ?
C'est
à chaque fois le prochain ! En ce moment, je m'intéresse à
l'Immortelle, une fleur que l’on trouve en Italie mais surtout en
Corse. Elle a un goût particulier. Et je trouve le nom tellement
joli.
C'est
amusant de se dire qu'à vos touts débuts d'apprenti, vous n'aimiez
pas les macarons !
Oui,
en fait, c'étaient deux biscuits que l'on collait avec un peu de
ganache, de confiture ou de crème au beurre. Je trouvais que ça
n'avait pas assez de goût. Je ne comprenais pas pourquoi on mettait
si peu de garniture, alors que c'est la garniture qui donne le goût.
D'ailleurs mes macarons sont très garnis, c’est ce qui fait leur
particularité.
Mmmh,
votre macaron au café vert est délicieux !
C'est
au café vert et au café Bourbon Pointu de la Réunion. Il est très
subtil et suave. C'est un goût de café que l’on connait peu. En
pâtisserie, le café se résume la plupart du temps à un mélange
de Nescafé et d'essence de café.
Qu'est-ce
qu'il faut faire pour devenir un macaron intemporel ?
C'est
moi qui décide et il y en a quatre : Mogador, Infiniment Rose,
Caramel au beurre salé et Infiniment Chocolat Porcelana. Le chocolat
Porcelana, nous n’allons plus en recevoir, c'est une plantation au
sud du Venezuela que Chavez a nationalisée en fin d'année dernière.
C'est l'Infiniment Chocolat Pérou qui va le remplacer.
Le
joker devient titulaire ! Il y a des saveurs que vous vous refusez de
travailler ?
Je
n'ai pas d'affection particulière pour le thym ou le romarin. En
revanche, j'adore la coriandre. J'ai fait un macaron « Jardin sur la
Baie d'Ha Long » à base de coco, gingembre, coriandre fraîche,
citron vert. Pour l'année prochaine.
Macaron JARDIN SUR LA BAIE D’HA LONG • Noix de Coco, Gingembre, Citron Vert & Coriandre fraîche • Juillet-Août 2014
Une
promenade au long des côtes escarpées du Vietnam où l’exubérance
de la crème à la noix de coco habillée de zestes de citron vert et
de gingembre est assagie en son coeur par l’éclatante fraîcheur
herbacée de la coriandre
Vos
macarons, quand vous les voyez, vous éprouvez encore l'envie d'en
manger ? Vous n'en prenez pas là !
Je
les adore ! Si vous n'aviez pas mangé l'autre moitié du macaron au
café vert et Bourbon Pointu de la Réunion, je l'aurais prise !
(rires)
Il
faut faire une pétition pour qu'il reste ? (ndlr la saison
Infiniment Café s'est terminée le 20 octobre)
(rires)
C'est drôle ; on nous le réclame surtout dans le 16ème
arrondissement de Paris.